Chapitre 10- Le Languori
— Tu sais que la peur va te tuer ?
Lisa tressaillit, tournant sa tête vers la voix, sans répondre. Son esprit commençait à admettre de s’appeler elle-même Selyenda même si elle tentait, aussi souvent qu’elle le pouvait, de se rappeler qu’elle était Lisa Beaufort, née à Paris, sur Terre, dix-sept ans auparavant. Malgré tous ses efforts, la chose devenait toujours plus difficile ; ces deux dernières semaines avaient donné de terribles coups de boutoir à sa volonté. Sous la supervision de Priscius, qui venait lui-même régulièrement contrôler l’avancée de leur dressage, Lisa, Cénis et Elena avaient vécu sous le joug impitoyable de Sonia. En deux semaines, son seul objectif et elle y était experte, avait été de s’assurer de leur obéissance à toutes les trois. Les simulacres de noyade, les coups de fouet, les chantages à la docilité s’étaient enchaînés avec des leçons répétées jusqu’à l’épuisement, aussi simples qu’elles pouvaient être terribles et humiliantes pour briser chez les trois jeunes femmes toute velléité de rébellion.
Le plus dur était que le traitement n’était rien moins qu’animalisant. Toujours intégralement nues, sauf leur collier et le linci en symbiose sur leur cuisse, elles avaient dû apprendre à supplier et ramper pour avoir le droit de manger, de boire, de simplement pouvoir sortir de leur cage et respirer un peu d’air. Ces derniers jours, elles avaient été forcées de quémander le moindre privilège en suppliant, le front touchant le sol aux pieds de Sonia. Priscius, fort satisfait, les avait à son tour mises à l’épreuve, les faisant supplier pour leur repas. Il les avait obligées à manger dans sa main, en se laissant flatter et caresser sans protester. Elena, pourtant la plus farouchement obstinée du trio, avait fini par craquer plusieurs fois et fondre en larmes. Après de précédentes tentatives pour se jeter haineusement sur Sonia et lui faire payer ses tortures, même la plus rebelle et farouche des trois captives n’avait plus la force de se rebiffer. Quant à Cénis, elle avait perdu, sous les cruautés joueuses et perverses de Sonia, toute sa noblesse d’aristocrate ; elle était réduite, comme ses deux consœurs, à devoir accepter d’être traitée comme un animal. Seule Lisa n’avait jamais tenté réellement de résister, sauf par son mutisme passif et prostré d’où Sonia la sortait avec rudesse et violence ; c’est pourtant avec elle que fonctionnait le mieux cette étape du dressage. C’est aussi elle que Sonia employait comme levier pour ses chantages affectifs, abusant de cet outil pour que chacune des trois captives en arrive à s’efforcer par elle-même d’obéir et se soumettre, afin d’épargner aux deux autres les sévices qu’elle inventait ; en matière de tortures et d’avilissements, l’éducatrice n’était jamais à bout d’idées. Sa seule limite était de ne pas les abîmer physiquement ; tout du moins, pas trop et en évitant tout ce qui pourrait laisser des cicatrices. Il était rare que les jeunes femmes n’aient pas sur le dos et les fesses rougies et striées par le fouet plat, mais Sonia n’employait plus l’aiguillon et prenait garde désormais à s’assurer que Lisa soit tenue loin du loss-métal.
Jusqu’ici, le conditionnement sexuel et les premiers cours de l’éducation des esclaves selon les règles du Haut-Art n’avaient pas réellement commencés ; à peine les trois captives avaient-elles été mises en contact avec les hommes de la Maison, principalement Priscius, puisque le seul autre était l’assistant chargé uniquement de maltraiter les captives, et de les stresser. Mais si Cénis et Elena acceptaient, bien que sous la contrainte, la présence de l’esclavagiste, ses contacts et sa proximité physique, c’était une catastrophe avec Lisa. Elle tremblait de terreur et se tétanisait dès qu’il la frôlait. Sa panique était si violente que Priscius avait renoncé à insister, mais lourdement rappelé à Sonia qu’il attendait d’elle une réussite parfaite pour régler ce problème, puisqu’apparemment il y avait un client qui souhaitait l’acheter.
Il ne restait plus à cette heure dans les bains que Sonia et Lisa, toujours à genoux, tremblante. L’accès aux bains et par conséquent au précieux privilège de pouvoir se laver, était ritualisé et, comme tout le reste, dépendait de leur parfaite obéissance et de leur docilité. Pour le troisième jour consécutif, Lisa, comme les deux autres captives, avait dû passer pratiquement la journée à genoux, répétant sans cesse, les yeux bandés : “ je suis une esclave ” ; et pour Lisa et Elena, dans leur langue natale. Ce n’était rien moins qu’un conditionnement inlassablement mené jusqu’à l’épuisement, l’éducatrice et sa nouvelle assistante se relayant pour punir du fouet toute faiblesse ou hésitation et pousser les jeunes femmes aux limites de leurs forces. Lisa avait fini hagarde et abrutie, la voix enrouée, comme les deux autres ; mais elle avait gagné le droit de profiter du bain, bien que toujours aveugle, comme ses deux consoeurs.
Dans le silence chaud, humide et paisible des lieux, l’éducatrice vint murmurer près de l’oreille de Lisa, en français, à sa grande surprise. L’accent athémaïs était prononcé, certains mots hésitants un peu mais Sonia semblait pourtant parler cette langue ô combien étrangère avec aisance.
— La peur va te tuer. Je connais le monde d’où tu viens, à travers des esclaves comme toi, qui m’en ont parlé ; je connais aussi plusieurs de vos langues, comme tu l’entends. La peur existe chez vous, semblable à la nôtre, tout aussi brutale et impitoyable ; la même peur qui t’a brisée, pour les mêmes raisons. Je sais aussi que vous y survivez dans votre monde comme nous y survivons. Tu peux donc vaincre ta peur…
L’éducatrice vint s’accroupir face à Lisa, tendant une main dont le pouce frôla puis redessina lentement l’angle de sa mâchoire en une caresse sensuelle. Son visage était maintenant si près de celui de la terrienne que cette dernière pouvait sentir son souffle sur sa peau.
— T’avait-on abusé, avant que tu ne sois capturée ici ?
La jeune femme déglutit, dents serrées.
— Oui. Oui, maîtresse. Deux… ou trois fois. Je vendais mon corps. Pour… pour acheter de la drogue. Alors des gens croyaient… pouvoir se servir.
— Et te prendre de force. Il ne va rien se passer de plus ou de moins ici ; la seule différence sera ta peur, petite terrienne. Les hommes, ici, peuvent aimer prendre une esclave de force et on ne trouvera rien à y redire ; mais personne n’apprécie qu’on les viole. Une esclave qui ne peut aimer être prise par un homme, même s’il est brutal, le vivra mal ; la hantise la rongera et la détruira. Si cela arrive, elle ne sera bonne qu’à être envoyée aux corvées domestiques et, un jour, finalement, cela la tuera.
— Voulez-vous dire… qu’ils me tueraient ?
— Si tu deviens inutile à quoi que ce soit, oui tu seras tuée.
La main de Sonia glissa doucement sous la joue de Lisa pour venir caresser subtilement le creux de son cou, sous son oreille, faisant naître sous ses doigts des frémissements légers, une chair de poule trahissant une réaction bien involontaire d’enivrement. Elle s’était encore approchée, presque lèvres contre lèvres avec la jeune femme dont la moue craintive et hésitante, rougissant un peu, témoignait de l’émotion qui l’envahissait. La voix de Sonia devint un murmure sensuel, aussi caressant que les lents mouvements de ses doigts, tandis qu’elle reprenait :
— Mais s’ils te tuaient, cela voudrait dire que tu as été trop stupide pour comprendre et que je me serai trompée sur toi.
— Trom… trompée ? Sur quoi ?
Lisa respirait plus vite, le cœur battant. Elle sentait le feu naître sur son visage. La voix de l’éducatrice était un envoûtement presque effrayant, si proche d’elle qu’elle pouvait sentir la chaleur de son corps. Elle connaissait bien son odeur désormais, qu’elle captait avec trop d’acuité à cet instant. Normalement, elle aurait dû en éprouver d’autant plus de peur, mais elle expérimentait une fascination qui la désarmait. Sonia esquissa un sourire, lisant à livre ouvert les émois de sa protégée, impuissante entre ses mains.
— Sur ton intelligence et ta volonté de survivre, esclave… Me suis-je trompée ?
Lisa n’eut pas le temps de répondre ; en aurait-elle été capable alors qu’elle avait le souffle coupé par le tumulte de ses émotions ? Les lèvres de Sonia venaient de prendre les siennes ; appuyant de sa main elle lui força la mâchoire, pour que la petite rousse ne puisse refuser et se livre sans résister. L’éducatrice fit glisser sa main libre sur la hanche de la jeune fille puis vers ses reins pour, d’une impulsion, l’obliger à se presser contre elle. Lisa eut la sensation brutale que tous ses sens explosaient en une réaction irrépressible comme si, alors que ses sens étaient muselés depuis des semaines, Sonia intimait à son corps l’ordre de se libérer et se déchaîner en un exutoire d’érotisme irrésistible. C’était le premier baiser que la jeune terrienne ait jamais échangé avec une femme ; un baiser contraint, passionné, presque cruel. L’appréhension se mêlait à la fascination en un moment d’abandon qu’elle voulait pourtant refuser et renier de toutes ses forces mais, face à l’art des plaisirs de l’éducatrice qui l’embrassait et la retenait solidement, cela revenait à vouloir échapper au regard hypnotique d’un fauve prêt à bondir ; Lisa n’avait pas une chance d’y résister. Le répit ne vint que du moment où Sonia abandonna ses lèvres, non sans y avoir passé un coup de langue gourmand, et répété :
— Me suis-je trompée ?
L’éducatrice referma dans le même temps ses bras autour de la jeune fille pour lui interdire toute fuite. Celle-ci se mit à trembler.
— N… non…. Non, maîtresse.
Lisa, désorientée par le bandeau qui la rendait aveugle, tentait tant bien que mal de reprendre son souffle, son cœur battant la chamade. Les bras chauds de Sonia l’emprisonnèrent, lui arrachant d’autres frissons violents. Ses mains vinrent caresser et redessiner les traces du fouet sur le dos de la jeune rousse. L’éducatrice en testait la sensibilité aiguë ; pour son impuissante proie, c’était presque douloureux et ne faisait qu’augmenter encore la terrible et révoltante sensualité de l’instant. Sonia commença à jouer avec le tracé des fines cicatrices, les explorant soigneusement, poursuivant sa conversation avec un détachement presque badin :
— Tu plais à un homme, qui peut t’acheter et qui le souhaite. Jawaad cherche une esclave comme toi et tu es rare, très rare sur Loss, Selyenda. Jawaad est riche et puissant, il possède son propre Jardin des Esclaves ; des milliers d’hommes travaillent pour lui. Tu serais heureuse et bien traitée en lui appartenant ; tu ne pourrais souhaiter mieux qu’un tel maître, petite esclave…
Sans cesser de parler, Sonia poursuivait ses caresses. Ses mains redescendirent se glisser au creux des reins de la jeune femme, en un massage sensuel. Toujours aussi proche de son visage, sa bouche vint frôler avec sensualité le coin des lèvres de Lisa, pour un baiser savamment lent et lascif, prolongé par une exploration toute en douceur et en gourmandise de l’arête de sa mâchoire. Lisa perdait le souffle et finit par gémir. Le son qui sortit de sa gorge était une supplique ambiguë, qu’elle regretta de suite avoir laissé échapper, tant il était évident qu’il trahissait le désir en train de la dévorer, alors même qu’elle voulait le renier de toutes ses forces. La lutte vaine qu’elle menait ravissait Sonia, qui poursuivit :
— Mais la peur peut tout te faire perdre. La peur te rendra incapable de comprendre et d’accepter le sort qui t’attend. Tu ne peux pas y échapper ; ni toi, ni ta sœur. Les Dogmes du Concile interdisent de laisser libre une femme rousse ; soit on les asservit, soit on les tue. Tu serais née sur Loss, tu aurais connu le même sort, de toute façon. Alors, oui, tu es de la Terre ; oui, tu peux trouver injuste ce qui t’arrive ; mais tu n’as pas le choix. Oublie ton monde, tu ne pourras jamais y retourner. Refuse de te plier à ton destin et tu mourras, car personne n’aura pitié de ton sort.
Sonia passa à nouveau une main autoritaire sous le menton de Lisa qui tressaillit immédiatement, le corps brûlant, tremblant comme une feuille, pour retenir son visage face au sien, souffle contre souffle :
— As-tu compris, esclave ? Es-tu assez intelligente pour accepter d’apprendre à ne plus avoir peur ?
Il y eut un silence. Lisa restait muette, hagarde, ses lèvres s’agitant à peine, comme si elle tentait de former des syllabes sans qu’aucun son ne puisse venir. Sonia patienta, son autre main venant, caressante, flatter le ventre et le flanc de la jeune fille avec un art et un plaisir évident. Soufflant par le nez, en trahissant ses propres désirs qui venaient délicieusement l’envahir, son regard s’enflamma brusquement d’un feu bleu sinistre et inquiétant. Dans son esprit tout autant aiguisé que torturé, les tracés du plan qui avait surgi plus de deux semaines auparavant poursuivaient leur trame. Ce moment, qu’elle avait savamment prévu, l’idée d’atteindre ses buts et les étapes attendues pour y parvenir, avait sur l’éducatrice un effet de charge érotique violent et puissant ; aussi délicieux que la beauté des émois et de l’abandon de son impuissante élève fondant sous ses caresses. Elle contemplait un désir pur, qui serait presque arrivé à toucher son cœur s’il n’avait pas eu la froideur de l’acier. Revivre cette émotion lui offrait une exaltation qui confinait au délice.
Lisa parvint à répondre, mais dans un murmure rauque. Sa voix était assourdie et altérée par les caresses toujours plus lascives et insistantes de Sonia, qui lui arrachait presque de force, car elle ne pouvait plus lutter, des arcs de plaisir faisant frémir et se cabrer tout son être.
— Ou… oui maîtresse. Je… je le suis…
Sonia esquissa un sourire malsain, lâchant un autre souffle de délice par le nez.
— Alors, c’est ainsi que je te rendrais libre, esclave. Plus libre que jamais tu ne l’imagineras…
Brutalement, elle fit basculer Lisa sur le dallage qui couvrait les bords du bain, pour reprendre ses lèvres dans un nouveau baiser destiné à la bâillonner. Elle voulait goûter la jeune femme tout son saoul et n’avait aucunement l’intention d’admettre la moindre réticence de sa part. La retenant de son poids, elle la força à passer ses bras dans son dos, puis la guida, pour la maintenir ainsi allongée et cambrée, offerte dans une posture sensuelle qui lui interdisait tout geste. Une main sur son ventre, penchée au-dessus du corps chétif et frêle de la jeune fille, elle l’observa, très longtemps, dans le silence, lui laissant goûter les affres délicieuses et angoissantes de l’appréhension ; puis elle se glissa vers son entrejambe, posant un baiser sur son bas-ventre, emplissant ses poumons de l’odeur florale du linci de la jeune terrienne qui faisait de son corps une source de parfums délicieux et envoûtants.
Sonia donna à Lisa sa première leçon charnelle sur l’abandon, jouant avec son corps, jusqu’à l’extase. Elle ne consentit à la laisser souffler que des heures plus tard, loin dans la nuit et seulement après que, pour son dernier cri de jouissance, la jeune fille ait fini par demander pitié d’une voix envoûtée, vaincue et lascive, en venant se blottir contre l’éducatrice.
À partir de cette nuit-là, Sonia ne laissa Lisa retrouver sa sœur et Cénis que fort tard : elles dormaient chaque fin de soirée dans une autre cage, bien plus confortable, celle-ci désormais dans les dortoirs de la maison des esclaves, et plus dans les geôles des caves. Ce n’était pas un privilège, même si elles le prenaient ainsi, mais l’étape suivante du Haut-Art qui suivait son cours.
Le temps commençait à perdre tout sens pour chacune d’entre elles. Les trois captives portaient le bandeau cadenassé pratiquement en permanence et l’aveuglement les désorientait. Pour ajouter à la perte de repères, certaines habitudes étaient totalement brisées, comme des heures variables pour les repas ou l’accès aux bains. Plus aucune esclave ne répondait à leurs questions ; on ne leur adressait la parole que pour leur donner des ordres. Quand elles étaient rassemblées pour la nuit, elles étaient bâillonnées afin de leur interdire toute communication. Chacune ignorant donc le sort de l’autre elles pouvaient seulement percevoir leur présence mutuelle et seulement au contact et à l’odorat. Chacune était ainsi plongée dans une constante appréhension de l’immédiat, complètement désorientée par le silence et l’aveuglement.
Sonia s’occupait de cette phase de leur dressage, assez similaire pour les trois captives. Elles étaient régulièrement offertes aux mains, aux caresses et aux massages des filles du domaine qui étaient désignées pour s’occuper d’elles. La journée s’écoulait entre attentes à genoux, bains, exercices de maintien ou de marche répétés encore et encore, et leçons ressassées telles des leitmotivs poursuivant le conditionnement destiné à leur faire accepter sans pouvoir le remettre en question leur statut d’esclaves et d’animaux de plaisirs et de distraction. Les cours étaient encore ponctués d’ordres les forçant à devoir s’exposer, marcher, s’agenouiller, attendre debout, s’allonger, s’offrir ; cela semblait sans fin.
Régulièrement, au milieu de ces exercices sans cesse recommencés, leurs sens étaient à nouveau stimulés par des caresses intimes et l’usage d’huiles aux vertus aphrodisiaques et enivrantes, jusqu’à les amener aux frontières de l’orgasme, aussi patiemment que nécessaire, pour les laisser ainsi languissantes. Les exercices reprenaient alors, plus durement et difficilement ; et le jeu, les caresses, l’excitation recommençaient encore et encore, nuit et jour, en leur interdisant le sommeil jusqu’à ce qu’elles en aient des malaises.
En quelques jours elles étaient à nouveau épuisées, physiquement et nerveusement. Leur corps était mis à tel point en éveil qu’au bout de quatre jours la moindre caresse ou sollicitation les faisaient plonger dans une tension incontrôlable, suppliant de pouvoir être soulagées de tant de désir et de brûlure. Mais bien sûr, leurs suppliques restaient vaines.
Cénis avait bien tenté de résister mais elle avait cédé la première et Priscius avait donc rapidement pris en main lui-même la jeune aristocrate, terriblement angoissée à en perdre le peu de sommeil qu’on lui accordait, de l’effet de ces stimulations sur sa perte de plus en plus profonde de contrôle. L’esclavagiste ne comptait bien sûr pas la dépuceler, mais elle devait être prête et désireuse, à en perdre toute retenue, d’être prise enfin par l’homme qui l’achèterait. Elle était donc livrée à deux assistants, qui avaient ordre de ne pas toucher à sa virginité et connaissaient leurs affaires. Sous la supervision de Priscius elle était manipulée comme une poupée, caressée de toutes les manières, guidée pour offrir ses mains et sa bouche aux désirs et ordres des hommes qui jouaient d’elle de telle manière qu’entre silences, attentes et brusques contacts, elle ne puisse jamais rien anticiper de qui, de quand et comment, de leurs caresses et attentions, plongée, aveugle et impuissante, dans une longue initiation forcée aux arts de la sexualité.
Bien sûr, chaque hésitation ou tentative de se dérober de la part de la jeune étéoclienne était immanquablement punie : des coups de fouet plat, suivis d’une longue immobilité forcée, attachée inconfortablement et privée du repas suivant.
Pour Elena, qui s’accoutumait assez mal à être nommée Athéna, l’objectif était le même, mais Priscius avait laissé Sonia et son assistante se charger avant tout de la préparer à ne pouvoir résister au moment où il la prendrait pour la première fois. Le premier usage sexuel d’une esclave en formation avait une grande importance : elle devait être totalement offerte, trop sensible et enflammée pour résister à l’homme qui l’utiliserait, mais elle devrait être prise aussi bien avec douceur qu’avec assez de rudesse pour réaliser qu’elle n’était qu’une animale disponible au bon plaisir de ses maîtres.
Vu le caractère et la résistance fougueuse d’Elena, cela n’avait pas été si aisé de l’y préparer. Elle avait cependant fini par céder elle aussi. L’art des drogues et onguents lossyans, la patience, l’usage de savantes caresses, la torture érotique à laquelle elle avait été soumise avaient eu raison de sa volonté, après deux semaines de conditionnement ; mais même au plus fort de l’extase qui enfin l’avait libérée de ses frustrations dans un orgasme violent, elle avait résisté fièrement, sans jamais s’abandonner totalement, comme s’il fallait la conquérir en permanence et comme si la prendre devait forcément être envisagé comme une bataille, même si elle la savait perdue d’avance.
D’un certain point de vue, pour Priscius, cette combativité était une qualité qui augmentait encore la valeur de la superbe rousse ; malgré cela Elena avait vécu les coups de fouet, l’immobilisation et la privation de repas plus d’une fois. Entêtée, elle avait continué à résister de son mieux, jusqu’à avoir parfois mordu ou frappé un des hommes qui assistaient Priscius. Ce dernier lui avait fait payer cher ces erreurs mais admettait, avec une certaine patience, que c’était finalement un moindre mal vu ce qu’il arrivait à obtenir de la plus belle, de la plus fougueuse et féminine des trois captives de son lot.
Enfin, mais l’esclavagiste s’y attendait, l’échec était venu de la plus frêle et peureuse des trois, Lisa. Il n’en était pas moins agacé et frustré.
Sonia, seule, l’avait préparée les jours précédents, presque une semaine durant, ne laissant à personne ce privilège, sauf pour veiller sur son élève quand elle devait s’occuper des deux autres. Elle ne se cachait pas du plaisir qu’elle prenait à jouer des sens de la jeune femme qu’elle poussait à bout. Elle avait poussé si loin son art avec Lisa, avec tant d’acuité, que quand elle considéra en avoir fini, le moindre contact, la plus infime caresse faisait réagir la petite rousse dans des gémissements langoureux et suppliants ; mais à peine avait-elle été mise en présence de Priscius et de ses assistants, que leur odeur avait provoqué une panique immédiate.
L’esclavagiste avait bien tenté de forcer un peu les choses et essayé, à défaut de prendre la jeune terrienne, de la caresser et de profiter de son corps en éveil mais elle avait fondu en larmes, tétanisée par la terreur. Pas plus la douceur que les coups ou la colère de l’esclavagiste n’y avaient changé quoi que ce soit et Priscius l’avait renvoyée, insistant lourdement auprès de Sonia pour qu’elle répare ces dommages au mieux et au plus vite.
De retour dans les dortoirs, Sonia décocha une gifle magistrale à son élève qui pleurait de panique, les yeux bandés, l’étourdissant sous le coup ; mais au moins cela la calma-t-elle un peu et la rendit plus attentive aux propos de l’éducatrice.
— Respire ! Tu n’es toujours pas libre, et tu ne le seras jamais ainsi. Je vais m’adresser à ton corps, puisque j’ai toute latitude pour te préparer et que ton esprit n’écoute pas. Tu devras me donner toute ta confiance, quoi qu’il arrive, quoi que tu endures. Peux-tu le faire ?
Lisa était affalée sur le sol, les tremblements agitant encore son corps frénétiquement, mais la gifle l’avait forcé à émerger de ses cauchemars. Elle leva la tête, interloquée :
— Je… je ne comprends pas ? Pou… pourquoi me le demandez-vous ?
Sonia esquissa un sourire malsain. Elle savait pertinemment que l’échec constaté par Priscius était prévisible. Elle n’avait d’ailleurs rien fait pour l’éviter car cela servait le plan qui avait germé dans son esprit depuis qu’elle avait vu l’intérêt que Jawaad portait à la rousse. Elle se pencha sur la jeune fille, à nouveau souffle contre souffle.
— Parce que ce qui t’attend, c’est à toi de décider de l’endurer ou de renoncer. Profite que je t’en laisse le choix. C’est rare, dans une vie d’esclave.
— Co… comment choisir, sans rien savoir ?
— Bonne réponse. Je ne te demande pas de choisir ce qui va t’arriver mais de choisir de me faire confiance, quoique tu doives endurer à partir de maintenant.
Sonia passa doucement sa main sur la joue endolorie de Lisa, la faisant réagir immédiatement dans un léger mouvement tendre et presque involontaire pour répondre à ce contact. Elle restait terriblement sensible, même après le moment de panique passé avec les hommes ; sensible et profondément apprivoisée par les jours passés d’attentions, de tendresse et de sensualité auxquels Sonia l’avait soumise. Sans en tirer de fierté particulière, l’éducatrice aurait eu du mal à mentir sur le fait qu’elle en ressentait de l’affection, bien que le mot fut inadapté ; mais quels que puissent être ses sentiments et ses objectifs, elle était depuis longtemps incapable de rationaliser ou même de raisonner sur ses propres ressentis, y compris ceux qui la motivaient à tant se consacrer à cette jeune terrienne rousse, en trompant aussi sciemment Priscius.
La réponse de Lisa tarda un peu, alors qu’elle se perdait à la caresse de l’éducatrice, encore sonnée. Aussi Sonia approcha-t-elle encore pour murmurer, chaque syllabe venant caresser de ses lèvres celle de son élève :
— Me feras-tu confiance, esclave ?
La voix de Lisa fut un murmure, craintif, autant qu’envoûté :
— Ou… oui, maîtresse.
Sonia entraîna Lisa dans une des pièces des caves du domaine pour l’y enfermer, et disparut pour le reste de la journée et de la nuit, la laissant seule. Il fallait, pour qu’elle réussisse son projet, un matériau bien précis et, à sa manière, fort rare, que Priscius ne risquait pas de lui fournir. Elle devrait le voler. Elle l’avait déjà fait. Rares étaient les lossyans à savoir comment une esclave avec un linci dont l’odeur est unique et lui colle à la peau, peut tromper des chiens et comment elle peut ainsi circuler en toute discrétion et illégalité, si elle sait se cacher. Il lui fallut la nuit pour aller chercher ce dont elle aurait besoin pour la tâche qu’elle devrait accomplir les jours suivants.
Quand elle revint au matin auprès de Lisa, après un détour pour se laver et s’apprêter, nul ne sut qu’elle avait disparu. Sonia ne dormait pas dans les appartements de Priscius, mais dans une alcôve privée des dortoirs des esclaves. Un avantage pour elle, là où les préférées de l’esclavagiste y voyaient la marque que l’éducatrice était dédaignée par leur maître ; ce qu’elles n’auraient jamais osé évoquer face à elle, surtout depuis la troublante disparition de Magenta, trois semaines plus tôt.
Sonia avait tout préparé, désormais elle avait tout sous la main. Il ne restait plus qu’à accomplir son chef-d’œuvre.
Le Languori, pour l’essentiel, est un conditionnement physique et psychologique poussé à l’extrême. Sa toute première étape passe par un isolement sensoriel total. L’esclave qui le subit est coiffée d’un masque de cuir épais, totalement opaque, scellant aussi son audition et son olfaction et dont le bâillon intégré permet juste la respiration. La captive est alors totalement entravée pour qu’elle ne puisse se blesser par ses inévitables sursauts de terreur ; puis il suffit d’attendre.
La première crise de panique de Lisa ne fut pas immédiate, Sonia en fut même surprise : en général, cela arrive assez rapidement. La jeune terrienne avait donc clairement accepté d’avoir confiance en elle ; elle s’était d’ailleurs laissée faire sans broncher ni se rebiffer mais malgré cette détermination, trois heures plus tard, la terreur commença. Elle faillit même s’assommer à donner des coups de tête dans le vide.
Elle endura six autres crises de panique violentes jusque tard dans la nuit. Le bâillon avait une utilité : ses hurlements de détresse auraient paniqué tout le domaine. Pendant tout ce temps Sonia ne l’avait pas quittée des yeux et Priscius était venu assister aux débuts du conditionnement, pour voir où en étaient les progrès. Ce n’était que les prémisses ; les premiers jours seraient plus difficiles et risqués. Le but de cette étape était que l’esclave, à force de panique et de luttes vaines, entravée, aveugle et sourde, dénuée d’odorat, finisse par renoncer à lutter.
Un tel traitement finit par engendrer une sorte de catatonie où le sujet cesse de se battre et s’abandonne totalement, résigné, en se laissant pratiquement mourir. En d’autres circonstances c’eut été une forme de châtiment lent, implacable et cruel ; mais même Sonia, qui pourtant en savait beaucoup sur certains des pires sévices dont sont capables les lossyans, n’avait jamais entendu que quelqu’un ait employé cette technique-là pour une lente mise à mort.
L’éducatrice savait parfaitement ce que vivait Lisa. C’était la sixième fois qu’elle pratiquait le Languori sur une esclave ; mais surtout elle l’avait subi elle-même et on lui en avait par la suite tout appris. La jeune rousse se retrouvait enfermée dans la plus terrifiante des prisons : son propre corps. Elle était totalement isolée, les seuls bruits lui parvenant étaient ceux de son cœur et de sa respiration et elle se noyait dans l’enchevêtrement de ses pensées qui devenaient au fil des heures autant de spectres, de fantômes, de monstres venant la hanter toujours plus profondément, intimement, intensément. Au bout du compte, quand elle cesserait de lutter, il n’y aurait plus qu’elle et un immense océan noir et vide rythmé par un lent et régulier battement. Elle aurait alors l’impression d’une mort lente et d’une chute dans des abîmes cotonneux et obscurs ; la folie ne serait pas loin non plus pour la guetter. Sonia, qui avait déjà perdu son identité avant de vivre le Languori, n’y avait pas échappé. Ce jour-là, après avoir perdu tout souvenir de son prénom de naissance, elle avait même cessé de se rappeler qu’elle avait pu aimer.
Au bout de deux jours, Lisa ne réagissait plus que par pur réflexe ; Sonia la jugea alors prête pour la seconde étape. Elle lui retira le bâillon, le temps de l’abreuver et de la nourrir d’un potage maigre et liquide. La jeune femme se laissa manipuler sans réaction et, dans la solitude de la pièce fraîche et silencieuse cachée dans les caves, Sonia put poursuivre son œuvre ; il valait mieux en effet que personne n’assiste à ce qui suivrait. Le Languori était de toute manière si secret et tellement craint par les esclaves, qui étaient bien sûr au courant – tout se savait vite dans la maisonnée – qu’elles auraient tout fait pour se tenir le plus à l’écart possible des lieux où officiait l’éducatrice. Même sans en connaître le détail, la plupart des lossyans savaient que c’était une pratique cruelle, sadique même, et qu’une esclave sur trois sur laquelle il était tenté n’y survivait pas.
Lisa se retrouva suspendue dos au mur, poignets et chevilles entravés dans des chaînes qui l’écartelaient. Ainsi exposée et offerte elle était toujours masquée, et donc incapable d’entendre, de voir, de sentir. Anéantie par l’isolement sensoriel elle ne tentait même plus de lutter, réduite à l’état de poupée pantelante. Sonia n’en ressentait pas d’autre émoi que la satisfaction que les choses se passent comme prévu ; le conditionnement pouvait commencer. Durant les quatre jours et nuits qui suivirent, sans jamais lui accorder de répit supérieur au temps nécessaire pour boire un peu, Sonia employa sur Lisa un savant et cruel dosage de drogues hallucinogènes, altérant la mémoire et la conscience du temps, et d’autres aphrodisiaques ; l’usage de fines aiguilles d’acupuncture placées à dessein en des points très sensibles et douloureux la maintenant en état de perpétuelle tension ; et enfin de longues, expertes et patientes stimulations sexuelles. Elle réveilla ainsi l’instinct de survie et de lutte de la jeune terrienne, puis maintint son élève impuissante et anéantie dans un état de sensibilité physique et nerveuse exacerbée dans un stress physique et psychologique permanent, aux limites de la rupture. Elle lui faisait à dessein vivre un calvaire sans fin, une forme constante et extatique de torture que les drogues et l’abandon rendaient impossible à fuir, à contrôler ou à combattre.
Les hurlements d’agonie et les pleurs de supplique de Lisa, étouffés par le bâillon, n’y changèrent strictement rien : étape par étape, chacune suivie à la lettre, Sonia poursuivait sa tâche sans aucune hésitation et sans le moindre scrupule. L’éducatrice brisait et reformatait, comme on recompose un puzzle éparpillé, tout ce qui pouvait encore subsister des résistances, des terreurs et des réactions instinctives de la jeune terrienne, en la mettant au martyre. La profondeur de cette savante torture était telle qu’elle se fondait dans les hallucinations des drogues et de l’épuisement, autant que dans les stimulations et les caresses érotiques, jusqu’à ce que Lisa ne distingue plus le réel de ses visions, la douleur du plaisir.
C’était durant cette seconde étape, que Sonia savait devoir faire attention au second risque. Les captives qui avaient survécu à l’isolement sensoriel sans perdre la tête pouvaient très aisément plonger dans la démence la plus irrécupérable à cette étape-là. Elle se souvint elle-même qu’elle était déjà totalement perdue, tant, en fait, qu’elle y avait finalement survécu parce que la folie n’avait de toute façon plus trouvé de place où se blottir dans son esprit déjà complètement ravagé.
Au bout de cette épreuve, où Sonia n’avait guère plus dormi qu’elle ne l’avait permis à Lisa qui, de toute façon, n’avait même pas vraiment conscience de ses phases d’éveil et de sommeil, l’éducatrice lui retira une partie du masque, libérant sa bouche et son nez. La jeune fille pouvait enfin retrouver son odorat ; ce fut presque brutal. Sonia avait veillée elle-même à sa propreté mais la jeune terrienne venait de passer plus d’une semaine sans jamais pouvoir respirer par le nez. Elle manqua de s’étouffer, presque comme si elle se noyait, avant de retrouver la sensation de percevoir les odeurs et les parfums. Les premières fragrances qui lui parvinrent étaient celles de Sonia toute proche, qu’elle connaissait bien, et celles de Jawaad. Elle eut un réflexe bref et faible de panique, sans vraiment les reconnaître.
Sonia laissa Lisa réagir et s’interroger. Si la jeune rousse pouvait enfin sentir et parler, elle restait les oreilles bouchées, les yeux bandés. L’éducatrice avait pris de gros risques pour voler des linges sales ayant été portés par le maître-marchand taciturne mais, pour le but qu’elle poursuivait, elle en avait besoin, et n’aurait pas été les demander ; elle avait trouvé d’ailleurs amusante son escapade pour les dérober. Maintenant, elle pouvait passer à la troisième étape.
Sonia reprit le travail savant de torture et de stimulation, aidée par les drogues. Mais désormais, Lisa respirait en permanence les odeurs que l’éducatrice veillait à mettre au plus près de ses narines pour que l’air en soit imbibé, nuit et jour ; elle nourrissait toujours son élève le plus sommairement possible et ignorait ses suppliques. D’ailleurs, Lisa en laissait échapper peu et rarement intelligibles. Elle appelait, murmurait et pleurait parfois, en français, parfois en japonais, une langue que Sonia ne connaissait pas, mais elle était trop vaincue par le conditionnement et les drogues pour qu’elle ait assez de volonté pour simplement songer à fuir son calvaire, quand bien même l’aurait-elle pu. Elle le subissait docilement, résignée au point de ne plus avoir conscience que sa vie était autre chose que cette torture extatique et sans fin peuplée de fantômes informes et d’odeurs inconnues. Dans le perpétuel chaos sensoriel où elle était maintenue, Sonia, patiemment, lui apprit à associer ces fragrances à ces savants et cruels mélanges de douleur et de plaisir mêlé, jusqu’à la noyer dans des suites d’états seconds et d’extases sexuelles sans fin.
En trois jours de plus, Lisa ne pouvait plus respirer l’odeur de Jawaad ou de Sonia sans y réagir d’instinct, les sens en éveil, dans l’appréhension délicieuse et éperdue de l’extase à venir. L’éducatrice en était satisfaite, son plan se déroulait à merveille. Normalement elle aurait dû employer des linges imbibés de l’odeur de Priscius et de ses hommes, mais elle s’était bien gardée de les utiliser. Ils traînaient dans un coin, loin de son espace de travail, jetés dans une bassine d’eau pour en effacer les odeurs afin que celles-ci ne viennent pas se mêler de sa tâche.
Sonia laissa encore Lisa trois jours encore dans cet état second, qu’elle modérait progressivement, en laissant à son élève des plages de sommeil et de repos toujours un peu plus longues, avant de lui retirer le masque, la laissant seulement aveugle désormais. Mais même en retrouvant enfin l’ouïe, la jeune terrienne ne luttait de toute façon plus. Convenablement utilisé, même l’usage de la douleur ou la moindre incitation un tant soit peu sensuelle provoquait chez elle une réaction immédiate d’érotisme lascif. Elle s’y abandonnait sans même le réaliser.
Sonia détacha Lisa du mur, la fit s’allonger sur un drap doux, et la lava longuement. Sa peau garderait quelques semaines la marque des entraves, comme ailleurs les traces rougies des aiguilles qui la transperçaient. L’eau tiède, la caresse de l’éponge, la douceur des gestes de la toilette de Sonia mirent Lisa en état second ; elle réagissait un peu, mais sans forces et se laissait faire docilement, s’abandonnant calme et lascive.
Désormais, et elle le découvrirait bien assez tôt, Lisa ne pourrait plus retrouver de contrôle sur la sensibilité de son corps ; qu’elle ait peur ou pas n’y changerait rien. La moindre caresse ou attention parlerait à ses sens et non à son esprit pour l’apprivoiser et la soumettre. Même si elle conserverait sa hantise des hommes et les plaies profondes des tortures de Batsu, le Languori la marquerait d’une empreinte indélébile, bien plus profonde, puissante et intime. Il serait une part entière de son identité.
Sonia, cependant, décida de parachever son travail pendant trois jours de plus. Elle veilla seule, presque comme une amante, sur la jeune fille qu’elle installa sur une couche épaisse et confortable. Lisa dormit presque tout le temps, nourrie à nouveau par la main de l’éducatrice de fruits, de céréales trempées dans du lait frais et de biscuits. Avec une tendresse surprenante, mais sans jamais lui laisser le droit de prononcer le moindre mot, Sonia soigna les plaies et les abrasions provoquées par les longues journées de torture qu’avait endurées la jeune fille, puis poursuivit son long et savant travail sensuel de stimulation, gardant toujours Lisa aux limites de l’extase, passant outre son épuisement. De toute manière, la jeune terrienne tombait régulièrement dans des semi-comas tant elle était éreintée.
Enfin, pour parachever et estimer sa réussite, Sonia fit se poster d’elle-même Lisa face à un mur, quand celle-ci eut assez de force pour tenir debout et elle la fouetta. L’instrument était long et fin, un fouet-serpent dont elle usa progressivement, d’abord comme une caresse puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que les derniers coups en viennent presque à déchirer la peau de la jeune femme ; pourtant, même soumise à la douleur la plus vive, Lisa plongea à nouveau dans les délices d’une jouissance irrépressible. Elle s’effondra finalement à genoux, en larmes, extatique, vaincue par le plaisir.
Sonia avait réussi. Elle avait créé une Languiren parfaite. Priscius n’en sut jamais rien.
Après tous ces jours de tortures savantes et complexes pour accomplir le conditionnement, Sonia avait laissé Lisa, toujours isolée dans la salle des caves, se remettre et dormir enfin tout son saoul. Elle lui avait intimé le silence et la jeune terrienne n’avait toujours pas, docilement, prononcé un mot. Pour l’heure elle dormait, un peu fiévreuse et sans doute ne se réveillerait-elle pas avant toute une journée.
Priscius, venu rendre visite à Sonia et superviser son travail, se pencha sur Lisa endormie, blottie tel un chaton sur une confortable couche. Par prudence, Sonia avait laissé ses poignets entravés et retenus serrés courts à son collier, pour éviter qu’une terreur subite ne lui fasse faire un mauvais geste et qu’elle ne se blesse.
Priscius restait dubitatif en observant la petite rousse sagement endormie, même s’il avait donné son accord. Sonia avait été convaincante et sûre d’elle, une qualité qu’il appréciait chez sa précieuse et compétente propriété ; mais le prix des drogues qu’elle avait employées pour le Languori valaient à elles seules une fille dressée.
— Alors, j’attends ton rapport, mon esclave. Tu as réussi ?
L’éducatrice infirma d’un léger mouvement de tête, affichant une déception presque parfaite de conviction sur son visage qui exprimait rarement autre chose qu’une inquiétante sensualité.
— Elle n’a pas succombé, et son esprit se remettra de l’épreuve, mais la peur l’a forcé à résister ; les dommages causés par le maître Batsu étaient trop importants. Elle pourra faire une esclave de compagnie passable, ou encore être utilisée pour les tâches domestiques ; mais même si elle restera docile et plus sensible aux caresses et aux attentions, elle ne pourra jamais s’abandonner à un homme.
Sur ses mots, Sonia s’agenouilla dans un mouvement parfaitement aguicheur et sensuel. La voix suave et lascive, en baissant légèrement le regard, elle poursuivit :
— J’ai échoué dans ma tâche d’accomplir votre volonté, ô maître. J’en accepte le châtiment, que je souhaite de tout mon cœur.
Priscius éclata de rage un grand coup, à la supplique teintée d’une voix de venin et de miel de son éducatrice. Sonia venait, à dessein, de faire exploser sa colère. La gifle qu’il lui envoya la projeta en arrière deux mètres plus loin, la faisant immédiatement saigner du nez, en l’étourdissant violemment.
— Bien sûr que tu as échoué, idiote ! Batsu le savait parfaitement et s’est joué de moi jusqu’à la fin ! Tu aurais dû réaliser tout comme moi que cette fille ne valait pas ces efforts et tout l’or dépensé pour la dresser. Tu as perdu ton temps, tu m’as fait perdre le mien ! Oh oui, tu vas être châtiée, et tu ne l’oublieras pas de sitôt ; mais sois soulagée, ce n’est rien en comparaison de ce que je promets à Batsu à la première occasion ! Je vais lui faire bouffer sa duperie et la lui faire gerber d’ici jusqu’aux marches du Rift ! Je vais le ruiner, le démolir et, quand j’en aurai assez, je lui ferai arracher les boyaux, pour le faire exposer dans une ruelle avec sa triperie en guise de collier ! Je vais le tuer, ce salopard ! Et toi, dégage de ma vue ! Hors d’ici ! Et tu as intérêt à ce que les deux autres soient parfaites !
Sonia n’attendit pas et se releva en chancelant un peu pour quitter rapidement les lieux, s’affichant pourtant, avec une opiniâtreté remarquable, toujours aussi fièrement arrogante ; mais elle n’allait pas s’attarder, ça non. Elle était parvenue à ses fins et se moquait éperdument que Batsu puisse payer la frustration qui faisait encore tonner et jurer son maître. Même la promesse – et elle savait que Priscius n’allait pas oublier – de sa punition prochaine glissait sur elle sans qu’elle en éprouve quelque émotion.
À dire vrai, seule la violente gifle de Priscius avait eu le moindre effet sur elle ; un effet qui aurait encore nourri la colère de son maître, car Sonia en savourait la douleur comme si celle-ci la nourrissait et la rendait plus vivante encore qu’elle n’était à cette heure. Elle saignait toujours du nez, sur le trajet dans le jardin où elle retourna veiller à l’éducation des esclaves, mais même cette gêne était pour elle un délice, autant que le goût de son propre sang.
La nuit tombait, en engloutissant paresseusement un soleil dont les rayons rougeoyants venaient lécher les murs du dortoir, où s’assoupissaient les esclaves en éducation de la maisonnée. Certaines devisaient encore à voix basse, d’autres, épuisées, ronflaient déjà.
Il y en avait une, dont la cuisse servait d’oreiller improvisé à une Cénis blottie telle une enfant, qui fixait le soir tombant. Elena avait arrêté de tenter de compter les jours et sa consœur étéoclienne n’y avait simplement pas songé. Les lossyans, apprit-elle ainsi, portent de toute manière une attention franchement moindre au temps qui passe et à sa mesure que les terriens.
Elena aurait malgré tout voulu savoir combien de temps avait passé depuis son arrivée chez Priscius, entre les murs de ce jardin des esclaves qu’elle considérait comme une prison, aussi confortable soit-elle désormais devenue. Malgré leur isolement et le traitement vécu ces dernières semaines – elle n’arrivait pas à avoir une estimation claire en terme de temps et le port du masque qui les avaient gardés aveugles jusqu’à la veille n’avait pas aidé – elle avait progressé autant qu’elle le pouvait dans sa maigre maîtrise de l’athémaïs et dans ses connaissances sur ce monde et ce peuple. Il avait été difficile d’en apprendre plus par Cénis, tant avaient été quasi absentes les occasions de pouvoir discuter. Quant à sa petite sœur, Sonia l’avait emmenée, elle ne savait où.
Mirra, l’esclave qui les chaperonnait quand Sonia était absente, avait au moins accepté de lui confirmer que Lisa se portait bien, sans détailler d’aucune manière, bien entendu. Mais l’inquiétude rongeait Elena, autant qu’une sombre colère : elle avait fini par céder et elle s’en voulait.
Non qu’elle n’ait tout fait pour résister au dressage ; elle n’était pas idiote, elle avait bien saisi qu’elle y risquait sa vie, mais la manière dont on s’y était pris pour la faire craquer rejoignait le reste de son avis sur ce que Priscius et toute sa clique lui faisaient subir : ce n’était rien moins que de la torture physique et mentale, et ça n’avait fait qu’alimenter sa rancœur, doublée d’une inquiétude qui confinait à l’angoisse. Que faisaient-ils à sa sœur pendant ce temps ?
La porte du dortoir des esclaves s’ouvrit sur Sonia, tirant Lisa par une laisse. Elena sauta sur ses pieds, ce qui eut pour effet de tirer sur la chaîne qui reliait son collier au mur de sa couche et de faire assez de bruit pour réveiller les moins endormies, à commencer par Cénis, secouée, qui venait de perdre son oreiller. Le regard de l’éducatrice, bleu et froid comme la glace, fixa le sol. Dans une grimace de colère, Elena obtempéra et tomba à genoux, la position que les esclaves éveillées par le bruit prirent toutes plus ou moins rapidement à leur tour ; mais l’aînée gardait le regard rivé sur sa sœur.
— Lisa…
Ce n’était qu’un murmure, tandis qu’elle la fixait. Celle-ci se tenait debout, légèrement hagarde et absente. Nue, bien entendue, Lisa avait encore perdu un peu de poids mais paraissait se porter plutôt bien, même si Elena pouvait désormais lui compter les côtes. L’éducatrice lui avait elle-même prodigué sa dernière toilette : ses cheveux étaient brossés et elle sentait bon. Elle lança un faible sourire au regard qui s’éclaira d’un doux vert à la vue de sa sœur aînée, achevant de la rassurer. Sonia la laissa faire quand, alors qu’elle attachait la laisse au mur, Elena attrapa sa sœur dans ses bras. Seuls ses inquiétants yeux bleus trahirent une réaction étrange et équivoque. On aurait presque pu y confondre, mêlés dans leur éclat inquiétant, une véritable tendresse et une jalousie possessive.
— Dormez, maintenant !
L’éducatrice quitta le dortoir sur-le-champ. C’est alors qu’Elena aperçut son dos.
Ainsi c’était donc vrai. Elle avait entendu, de la bouche des filles du domaine, des rumeurs selon lesquelles Sonia aurait été châtiée par Priscius, devant les esclaves de la maisonnée. Celles en cours de dressage n’avaient pas été autorisées à y assister. Vu sa compréhension des langues locales, elle doutait encore largement de ce qu’elle avait cru saisir mais là, la preuve était – littéralement – affichée devant elle. Des épaules au bas des reins, le dos de l’éducatrice était strié de marques profondes et larges, au pourpre tirant sur un écœurant violacé nimbé de bleu fumée, qui s’entrecroisaient en dessinant un motif qui arracha à Elena un frisson d’épouvante. Elle se demanda bien ce que Sonia avait pu faire pour être fouettée ainsi et comment elle pouvait rester en apparence aussi parfaitement stoïque.
Pour un bref instant, la jeune femme eut sur l’éducatrice un sentiment plus compatissant, prenant conscience que malgré sa position, cette dernière partageait bel et bien leur sort à toutes ; mais elle ne s’y attarda pas, pour serrer sa cadette dans ses bras, vite rejointe par Cénis. Lisa souriait toujours, le regard clair bien que cerné de fatigue. Elle se blottit tendrement contre sa grande sœur, lâchant un soupire immense de réconfort et devança en murmurant le flot des questions qu’elle se préparait à subir.
— Je… je vais bien, Elena.
Cénis comprit. Elle avait fini par apprendre quelques mots de la langue des deux sœurs. Non qu’elle y tenait mais, à force, cela venait tout seul. C’est elle qui parla, avant l’aînée, en venant poser un baiser sur la tempe de Lisa :
— On a eu peur, tu sais ; je ne sais même pas depuis combien de jours nous sommes sans nouvelles. Ta sœur avait juste pu savoir que, selon Mirra, tu étais bien traitée.
Elena la coupa, berçant toujours sa cadette tendrement :
— Tu n’as rien ?… Que t’ont-ils fait ?
— C’est… heu… Je… je ne sais pas… comment je pourrais te l’expliquer. Je ne sais pas très bien moi-même. C’est… un peu flou. Je ne suis pas sûr de comprendre ce qu’elle m’a fait.
Lisa s’interrompit, et tourna son regard un peu las, en souriant tendrement vers Cénis, pour lui répondre :
— Mais…. il… il s’est passé 16 jours et demi. 16 jours et un peu plus de 9 heures de… depuis que cela a commencé.
Il y eut un une sorte de silence.
L’Etéoclienne eut du mal à croire ce qu’elle venait d’entendre ; et pour cause : l’idée de mesurer le temps n’était pas commune chez les lossyans et elle ne comprenait pas comment la terrienne avait pu le faire sans aucun instrument. Quant à Elena, elle sembla ne pas vouloir relever et préféra cajoler sa petite sœur de mots doux pour l’installer contre elle, invitant Cénis à les rejoindre. Il y aurait bien le temps de raconter ce qui était arrivé, ce qu’elles firent pour les moments à venir, jusqu’à ce que la nuit, le silence et le sommeil viennent s’imposer sur le trio.
La plus interpellée fut Sonia qui, comme à son habitude, faisant fi des élancements douloureux des coups de fouet, avait espionné le trio dans le plus grand silence. En toute logique, entre les drogues et l’isolement sensoriel, le temps disparaissait pendant le Languori. Elle pouvait cependant certifier que c’était à une heure ou deux près le temps écoulé depuis l’instant où elle avait en effet séparé Lisa des deux autres ; une mesure qu’elle n’aurait jamais dû pouvoir faire, même avec des instruments ; et elle était restée privée de ses sens la majorité du temps. C’était un mystère que Sonia ne s’expliquait pas et qui affecterait sûrement la réussite du Languori, car cela signifiait qu’il y avait toujours eu une petite part de l’esprit de son élève qui avait préservé un peu de conscience. Elle se demanda si Jawaad avait pu voir aussi tout ce potentiel-là. Elle savait pertinemment qu’il avait bel et bien vu la nature de Lisa et son don de Chanteuse de Loss. Mais avait-il remarqué tout le reste de son potentiel là où Priscius s’était montré stupidement aveugle ?
L’éducatrice leva un regard pensif dans la pénombre, presque avec un sourire, avant de quitter l’abri du mur qui la cachait puis de sortir du dortoir. Elle aurait bien le temps – et elle était patiente – pour comprendre comment Lisa avait pu mesurer le temps au milieu des affres de sa torture, mais elle avait d’autres impératifs dans l’immédiat. L’étape suivante de son projet présentait de nombreux risques qu’elle connaissait bien pour la plupart et qu’elle allait prendre à dessein, mais cette fois qui la placeraient directement en péril ; ce qui l’amusait.
L’idée qu’elle allait véritablement trahir son maître, avec comme corollaire l’éventualité de la sentence attendant tout esclave trompant son propriétaire, ne l’effleura que comme une simple information à laquelle elle n’attribua aucune importance.
Traversant les jardins, elle se dirigea vers le chenil…