Chapitres 13-16Livre 2

15- Nashera

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Zaherd Lakkar avait déjà vu cette scène des centaines de fois. Il se souvint qu’à la première, il en avait été ému à la nausée. Puis à la seconde, son cœur avait appris à s’endurcir. Il ne lui en avait guère laissé le choix d’ailleurs : à la troisième il avait prêté main-forte alors qu’il savait que l’esclave était forcément innocent. Mais il fallait le vérifier. Depuis, ce spectacle l’indifférait ; il ne s’agissait que de mécanique du corps et de procédures techniques dans le but d’obtenir des informations. Il n’était pas de ceux qui prétendaient que la torture est un art.

Aujourd’hui l’homme qui hurlait comme une bête à l’agonie, ahanant pourtant encore des sons humains en implorant pitié était coupable. Donc ce qu’il pouvait endurer, le Légide de Mélisaren n’en avait cure. Mais il voulait des réponses. Le prisonnier souffrirait tout ce qui serait nécessaire pour qu’il en fournisse.

Le crissement des cordes, pareil à un craquement, claqua dans l’air charrié de miasmes, donnant à croire que le corps du supplicié se disloquait en une nouvelle vague de hurlements déchirants. C’en était trop pour Mériaden, le secrétaire particulier de Zaherd qui avait jusque-là voulu éprouver son courage devant son supérieur. Le jeune homme, pourtant réputé pour son ambition et sa détermination n’eut pas le temps de dépasser la porte de la salle de torture qu’il rendait tout le contenu de son estomac contre la pierre nue.

Zaherd aboya vers lui :

— Tu ne trouvais pas que cela puait déjà assez ? Déguerpis et retourne à mon office. La journée risque d’être longue et je sens que les tribuns vont défiler devant ma porte.

Mériaden opina sans insister. Il n’en aurait pas supporté plus. Ramenant le pan de son manteau pourpre sur son épaule pour s’assurer que celui-ci n’allait pas trainer dans sa vomissure, il passa l’encadrement obscur de la cellule enfouie dans les profondeurs du château de la capitainerie. Ses murs épais n’avaient pas été maçonnés par hasard. Les hurlements des suppliciés ne s’y devinaient qu’à travers d’étroits soupiraux.

Le Légide revint au tortionnaire qui, s’il avait ôté ses épais et couvrants atours de cuir tâché de sang et d’ichors, aurait pu être pris dans la rue pour un simple ouvrier dont le visage rond et barbu aux cheveux noirs retenus dans un lâche catogan prêtait confiance. Les apparences ne voulaient souvent rien dire. Celui-ci s’activait aux engrenages du chevalet d’écartèlement, penché sur le spadassin, l’air si détendu qu’il n’aurait manqué qu’il sifflota pour rajouter à l’incongruité du spectacle. Sa victime avait été ramenée au matin par un des chefs de garde de la ville, en même temps qu’un récit qui avait provoqué une panique dont Zaherd se serait bien passé.

Mais le résumé des faits était simple : cet homme et ces complices, tous morts, avaient fait pénétrer dans la basse-ville des victimes atteintes de la Rage et les avaient lâchés dans les rues. Les conséquences en seraient terribles, et le seul espoir maintenant, c’était que Duncan n’ait pas surestimé l’efficacité de son traitement.

Zaherd n’était Légide de toutes les forces armées de Mélisaren pour rien et n’avait aucun doute que depuis la contamination d’Erasthiren, tout avait été soigneusement fomenté dans le but d’atteindre sa ville et de la frapper en plein cœur, à coup sûr pour une future action militaire. Son intuition lui soufflait déjà une réponse, de sinistre augure pour les jours à venir. Mais on ne dirigeait pas une dizaine de milliers d’hommes en tenant tête à tous les tribuns et aristocrates d’une cité-état sur la simple base d’intuitions.

Le Légide tourna la tête vers la quatrième personne présente dans la vaste cellule, et qui, silencieuse, observait le supplicié. Caché sous un épais manteau noir à la capuche liserée de rouge rabattue sur le sommet de son front, celui-ci restait silencieux et n’approchait pas plus qu’il ne fournissait la moindre assistance au bourreau. Zaherd ne redoutait plus grand-chose de ce que le monde pouvait lui réserver de mystères et de surprise. Mais cet homme-là, il avait appris qu’il fallait le craindre.

— Où en sommes-nous, Psyké, demanda-t-il ?

Son interlocuteur se tourna vers lui, mais brièvement. Il réservait toute son attention au supplicié. L’homme n’était pas bien grand, et même avec son mantel, on le devinait maigre, ce que son visage émacié et parcheminé confirmait sinistrement. Zaherd savait qu’il se nommait Gild Myer Naa’shim, mais tout le monde le nommait pas son titre et sa fonction : Psyké.

— Il n’a pas été simplement payé. On l’a bien choisi pour s’assurer qu’il ferait tout pour ne pas parler. Il est membre d’une caste de tueurs choisis dès l’enfance qui ont été entrainés à supporter la torture. Il pense qu’il ne cèdera pas… pas encore.

— Combien de temps pour qu’il parle ?

— Il tente encore de résister et leurrer. Mais je lis ce qu’il ne dit pas. Bientôt, il comprendra que son entêtement ne sert à rien et je saurais tout. Mais il est probable qu’il n’y survive pas.

 Le bourreau intervint, la voix presque bonhomme, après un dernier tour de cric qui fit hurler le supplicié, sans que cela ne semble affecter ni son tortionnaire, ni le Psyké :

— Je le travaille vigoureusement, capitaine. Revenez d’ici deux heures, et il nous aura tout dit !

Zaherd hocha la tête en réponse :

— Qu’il en crève ne me dérange pas. Mais trouvez qui l’a recruté. Je veux un nom et qu’il soit sûr.

***

— Que vois-tu ?

Duncan, qui venait de poser la question, ne fixait pas Lisa qui regardait la tente des malades, devenue au centre du camp des réfugiés, le quartier général improvisé du doyen et de ses médecins. Il regardait Jawaad avec une curiosité grandissante. Ce dernier restait impassible, mais Duncan aurait juré qu’il était plongé en grande réflexion.

Lisa désigna une des personnes alitées à Azur, qui elle aussi observait la scène avec intérêt. Mais elle était la moins surprise des spectateurs, après avoir vu faire la jeune terrienne. Avec sa consoeur, elle avait usé de ses dons de psyké pour vérifier qui cachait son état fébrile et qui en avait parlé sans le dissimuler. En une heure, les résultats avaient été remarquables ; Lisa pouvait sentir l’état de santé des gens et elle pourrait déterminer qui était malade ou pas à défaut de savoir reconnaitre la Rage elle-même. Mais pour prouver l’efficacité des talents conjoints des deux esclaves, il fallait en faire la démonstration.

Jawaad avait été aisé à convaincre, au grand étonnement d’Azur. Il l’avait cependant forcée à supplier en se prosternant à ses pieds pour avoir la permission de lui parler ; Lisa y avait assisté, en retrait, mais elle s’était elle-même glissé à genoux, autant pas crainte, que pour soutenir sa sœur de chaine. Pourtant dès qu’Azur avait répété à son maitre ce que la jeune terrienne lui avait expliqué sur la vision que lui procurait le Chant de Loss, Jawaad s’était montré immédiatement intrigué et avait relevé ses deux filles en mettant fin à la sanction de sa psyké. Un moment plus tard, il rejoignait sur les quais Duncan, lui expliquant lui-même en quelques mots l’expérience qu’il voulait conduire.

La femme d’une quarantaine d’années que désignait Lisa s’agitait faiblement sur sa couchette. Mais elle n’était pas la seule et sous la tente, il y avait une vingtaine de malades et de blessés, tous à divers états de fébrilité. Azur plissa les yeux et fixa la quarantenaire vêtue des atours déchirés d’une petite bourgeoise, sans hésiter la femme d’un marchand d’Erasthiren. Puis elle se tourna vers Jawaad et Duncan :

— Elle est en colère et a des envies de violence, maitre. Elle le cache, elle sait qu’elle est malade et elle est persuadée d’avoir la Rage.

Duncan acquiesça, mais fixa à nouveau Lisa, tandis que Jawaad observait en silence :

— Et toi, Anis, que vois-tu ?

Lisa inspira doucement, puis tourna la tête vers les deux hommes. Elle sentit immédiatement s’appesantir sur elle le regard noir de Jawaad et elle garda les yeux baissés en répondant :

— Le décrire est difficile, maitre, mais je peux voir… la santé de cette femme. Où souffre-t-elle et… et comment. Je… je ne peux pas savoir précisément de quoi elle est malade. Mais je sais que là, cela affecte sa tête et ses nerfs. Je crois que c’est les symptômes de… de la Rage.

Duncan ouvrit de grands yeux et se tourna sur Jawaad :

— C’est possible, cela ? Qu’elle puisse deviner l’état de santé des gens en les regardant ?

Jawaad fit un faible signe de tête :

— Oui. Mais rares sont les Chanteurs à avoir conscience qu’ils peuvent le faire.

— Ce don m’étonnera toujours. Mais si ton esclave a raison… enfin si elles ont raison toutes les deux…. Duncan s’interrompit pour héler un de ses assistants, qui approcha rapidement, les traits tirés par la fatigue : Darelin, va voir la femme alitée depuis hier soir et vérifie si elle a un symbiote ou pas. Dans tous les cas, je veux ton diagnostic au plus vite et nous allons la vacciner.

Lisa regardait Azur sans rien dire, l’une et l’autre partageant sans un mot leur appréhension, mais aussi l’espoir de se montrer utiles et de réussir à accomplir ce qui était un exploit. Jawaad les vit faire sans rien exprimer et s’adressa au vieux médecin :

— Elles te seraient utiles ?

— Oui, bien sûr ! Cela me laisse encore perplexe, mais si tu le permets, j’aimerai qu’elles fassent le tour des quais à la recherche de malades cachant leur état, que mes médecins puissent les isoler et les ausculter.

— Et leur sécurité ?

Duncan lâcha un sourire entendu, retenant presque un rire :

— C’était évident que tu allais le faire remarquer. Elles vont être accompagnées d’un de mes assistants et…

— Et d’un de mes marins.

— J’allais te proposer un des gardes que Zaherd nous a détaché.

Jawaad fit un non de la tête sans commenter plus et Duncan reprit sans insister :

— Je suis curieux de voir à quel point elles seront efficaces ; nous pourrions gagner un temps précieux pour soigner tout le monde et isoler les malades dangereux. Je garderai un œil sur elles au mieux, ne t’en fais pas.

— Ton devoir ne te laissera pas l’occasion de le faire. Alors, n’essaye pas.

Duncan allait répondre tandis qu’Azur et Lisa écoutaient attentivement quand des exclamations se firent entendre depuis le poste de garde à l’entrée des quais. L’agitation y devenait frénétique et c’est le lieutenant des gardes portuaires lui-même, un des premiers à avoir été vacciné par Duncan qui accourut vers le doyen, suivi par un messager, un jeune cadet nerveux de la capitainerie qui ne devait pas avoir seize ans.

— Maitre-doyen, il faut que vous entendiez ce que ce gosse est venu me dire !

Le gamin, trop maigre dans sa tunique large et son plastron de linotorci léger, était trop essoufflé pour être intimidé. Il reprit son souffle de son mieux pour répondre sans attendre :

— Il y a eu une attaque cette… cette nuit ! Des hommes ont pénétré l’enceinte de la Basse-ville et ont lâché des gens malades dans les rues ! Ils ont commencé à attaquer tout ce qui bougeait !

Jawaad leva un sourcil. Duncan, lui, en fronça deux en plissant son front ridé :

— Il y a combien de temps ?!

— Je ne sais pas, ça doit faire une heure. Le Légide a ordonné la mise en quarantaine de tous les pâtés de maisons où on les a trouvés et l’Agora doit se réunir d’urgence. Il veut… enfin il demande que vous fassiez tout le nécessaire pour l’aider.

Le lieutenant rajouta :

— J’ai une escorte prête, maitre-doyen. Vous me dites quoi prendre et où vous emmener.

Duncan hocha la tête et se tourna sur Jawaad :

— Cela change considérablement mes plans. Je ne sais pas si on aura jamais assez de vaccins pour endiguer une épidémie dans la basse-ville.

— Toi seul peux l’éviter. Mais tu ne pars pas sans deux de mes hommes.

— Jawaad, merci, vraiment, mais ce n’est pas nécessaire.

— Ce n’était pas une offre.

Les gardes portuaires et ceux de la capitainerie s’agitaient de plus en plus au poste de garde. Une bonne douzaine de miliciens et de soldats se préparaient comme pour un assaut imminent et criaient des ordres aux dockers présents, le personnel du port pris lui aussi de frénésie à s’équiper dans l’éventualité d’une attaque d’Enragés.

Duncan s’exclama, inquiet, en voyant tous ces préparatifs :

— Lieutenant, même si des Enragés ont envahi la Basse-ville, nous avons six à dix jours avant que la maladie ne rende fous nos concitoyens.

— Il va falloir que vous expliquiez ça. Moi je le sais, mais pas eux, maitre-doyen et ils ont peur. La nouvelle va se répandre et toute la ville sera en émoi avant la fin du jour.

— Alors le doyen Duncan n’ira nulle part sans un de mes marins aussi !

Erzebeth poussa Lisa de côté pour passer, cette dernière n’avait pas vu arriver la fière capitaine-corsaire qui, ce matin, avait abandonné la robe pour des jupes ouvertes sur une paire de culottes de cuir et des bottes hautes. Jawaad tira un bref sourire devant la splendide Femme d’Épée :

— Ce n’est pas un concours.

— Si j’avais songé que c’en était un, j’en aurais proposé trois. Mais Duncan aura besoin de bras. Ducaros sait lire et sait se battre, il ira avec vous doyen, si vous le souhaitez.

Le vieux médecin resta perplexe en toisant Jawaad, puis Erzebeth et le lieutenant accompagné de son jeune messager qui trépignait d’anxiété :

— Bon… autant de bras feront autant de mes assistants de moins à retirer de leur travail ici. Je ne veux pas en appeler à Lilandra et le reste de mon personnel à l’hospice ; ils sont encore en sécurité dans la Ville-haute, veillons à ce que cela se prolonge. Jawaad, un de tes hommes a-t-il quelques connaissances élémentaires en médecine ?

— J’en trouverai qui sauront t’assister.

— Bien ! Lieutenant, je prépare mes affaires et des lots de vaccins et le temps que mon escorte me rejoigne, je vous suis.

Joignant le geste à la parole, Duncan salua rapidement, pour se diriger vers les tentes médicales. Lisa et Azur, un peu perdues, se tournèrent vers Jawaad, s’interrogeant sur qui elles devaient suivre. Le Maitre-marchand anticipa leur question :

— Mettez-vous à son service. Sianos vous accompagnera tout à l’heure.

— Oui, maitre !

Lisa osa un sourire doux en répondant, s’inclinant vers Jawaad avant de filer rejoindre le vieux médecin. Le maitre-marchand laissa passer une expression amusée, qu’on aurait brièvement pu prendre pour de la tendresse, mais commenta sèchement : « Azur » sans autre explication.

Cette dernière comprit de suite en un simple regard sur son propriétaire et hocha la tête avant de suivre sa sœur de chaine. Jawaad attendait de ses esclaves qu’elles le nomment « mon maitre » et qu’elles en prennent conscience par elles-mêmes et par l’exemple. Azur rappellerait gentiment Lisa à l’ordre le moment venu et lui expliquerait.

— Lieutenant, rajouta Erzebeth qui fixait l’attroupement nerveux à l’entrée des quais, si vous avez besoin de monde pour la sécurité ici même, nous pouvons vous aider. Mais cette agitation va créer encore plus de panique qu’il n’y en a, non ?

Le vétéran acquiesça, ramenant dans son dos des mèches de cheveux sales bousculées par le vent matinal :

— Je sais, capitaine, il faut que j’y retourne rapidement. Et je ne dirais pas non à quelques paires de bras. Mais de préférence des hommes, dans votre équipage. Ça va déjà être tendu, et avec des femmes en armes, cela ne va rien arranger.

— Je vous enverrai de mes hommes alors.

— Merci capitaine.

Le lieutenant ne s’attarda pas en entrainant le messager qui se dandinait toujours d’angoisse à ses côtés et le suivit en manquant trébucher tant il était pressé. Erzebeth tourna la tête sur Jawaad à leur départ. Ce dernier les suivait du regard, et fronça les sourcils en observant les barricades qui se montaient et les hommes plus loin, dans la rue, se préparant un peu décontenancés à un éventuel assaut dont ils ignoraient tout.

— Quelque chose te préoccupe ?

Jawaad détourna son regard noir d’encre pour le poser sur celui d’Erzebeth, et mit pas loin de dix secondes avant de se décider à parler, tout à son étude du visage de la Femme d’Épée :

— La panique va se répandre.  Avec ou sans le remède de Duncan. Et ces gardes ne seront pas plus efficaces que leur barricade. Les Enragés seront le dernier de nos soucis avant ce soir.

Erzebeth fixa à son tour les gardes et les dockers en pleine agitation, puis au-delà des quais les premières rues du vaste port :

— Et personne ne pourra contrôler des sursauts de panique dans une ville si grande. Tu as sans doute raison, ce sont des simples citoyens que viendra le plus grand danger quand la peur les rendra aussi sûrement fous que la Rage.

— Préparons-nous à protéger ce que nous pouvons protéger.

— C’est ce que j’aurais pu dire, mais cela ne te ressemble pas. Tu te soucies vraiment de ces réfugiés ? Des gens sur ces quais, ou même de mon équipage ?

Jawaad étira une moue amusée et pensive, puis fit peser à nouveau son regard sombre sur la capitaine-corsaire :

— Parmi tout ce que tu as cité, il y a des choses que je juge d’intérêt à protéger, oui. Mettons-nous à la tâche.

Erzebeth resta songeuse devant le regard insistant du maitre-marchand, avant de sourire fièrement et répondre avec malice :

— Allons-y, alors. Ouvre la marche !

Jawaad répondit à l’injonction par une mimique perplexe au sourcil levé. Le rire franc et puissant, fier et assuré qu’il déclencha chez Erzebeth, et qui roula dans l’air fut un baume bienvenu à tous pour soulager l’angoisse rampant parmi tous les cœurs depuis l’aube.

***

— Nashera ?!

— C’est bel et bien ce qu’il a dit, confirmant les soupçons de mon enquête, Premier Magistrat. Gild, le Psyké, peut confirmer mes dires, il a assisté mon tortionnaire pour s’assurer de la véracité des aveux du prisonnier.

La réunion d’urgence qui avait jeté son dévolu pour s’organiser dans le Salon Rouge du Palais de l’Agora, le plus souvent dédié aux banquets qu’aux assemblées politiques, réunissait pratiquement tout ce que Mélisaren comptait d’exécutif de la cité-état, à commencer par ses principaux princes et leurs conseillers. Tous ministres, parfois à des postes aux rôles se chevauchant d’une fonction à l’autre, leur autorité se confondait donc allègrement en créant conflits et chaos dont les récits, rapportés par les journaux, les crieurs de rues et les troubadours, alimentaient débats et commentaires de la vie publique pour le plus grand plaisir des Mélisarens.

Mais ce matin, point de chaos ou presque, dans les rangs des princes drapés de pourpre et d’or. Arbitrés par la double présence d’Aristos Pirès, Premier magistrat et dans les faits ministre de la Justice, et celle de l’Espicien Aratanius l’Escarpe, ministre du Palais et pour dire vrai, le Premier ministre indiscuté de la ville, les hauts-fonctionnaires, pratiquement tous de lignée aristocratique et débordante d’autant de richesse que de pouvoirs, écoutaient en même temps que leurs secrétaires et conseillers le rapport du Légide avec assiduité et pratiquement sans un bruit. Zaherd songea que s’il avait eu une pierre blanche dans la poche, il l’aurait posé devant lui pour se souvenir de ce jour, premier de sa longue vie où il voyait les tribuns de sa cité garder le silence. Il en profita, car il s’attendait à ce que cela ne dure pas, pour reprendre :

— Vous avez donc tous connaissance du scénario, désormais. Il se résume facilement : Erasthiren a été contaminée délibérément et à l’heure où je vous parle, nous savons que deux autres villages proches l’ont été par rebond. Pour nos cités vassales, Ryiva, Mélérathen ou encore Scalparisen, mes éclaireurs nous reviendront dans un jour avec des nouvelles, mais sachez que Ryiva ne répond pas aux sémaphores. Seule Phasia nous a donné des nouvelles par les phares : ils vont bien et un navire est déjà en route avec à son bord l’un de leurs officiers pour préparer notre stratégie.

L’Espicien intervint, tout en faisant taire d’un geste un des tribuns dont la tentative de prise de parole fit long feu :

— Et quant aux villages et fermes de la ceinture de Mélisaren, capitaine, qu’en est-il ? Si l’un d’eux est atteint, Mélisaren est forcément touché.

— J’y ai déjà fait envoyer des patrouilles, qui désormais alertent les milices locales et préviennent les autorités de chaque village. Pour le moment aucun signes que la Rage se soit propagée si près de nous, Espicien. Mais il est urgent de prendre des dispositions. Nous sommes attaqués, il parait évident que ceux qui ont détruit par une si lâche méthode Erasthiren sont les mêmes qui viennent de tenter de contaminer notre ville pour la faire tomber de l’intérieur. Et ces hommes ont été recrutés à Nashera, parmi une secte de Sicaires, des assassins fanatiques qui tuent pour de l’or. Un commanditaire dont ces hommes ignorent l’identité leur a fourni des malades comme on trafique du bétail et leur a demandé de les lâcher en ville. Je n’ai pas plus de détails à vous fournir malheureusement, le prisonnier n’a pas survécu à son interrogatoire.

La déclaration de Zaherd sonna le glas du calme relatif de la réunion. En un instant, ce fut le chaos, le Salon Rouge soudain plongé dans un brouhaha d’exclamations, de déclaration noyée dans le flot des voix se mélangeant et même de quelques cris. Le premier magistrat eut beau cogner sur la table de sa canne de son mieux, rien n’y fit.

C’est finalement le Légide lui-même qui ramena le calme, frappant si fort la table du fourreau de son sabre que le bois en fut marqué. Le sursaut général qui s’ensuivit lui laissa le temps de lâcher un « silence ! » tonitruant. Et de désigner le Premier Magistrat :

—  Navré de jouer votre rôle, commenta-t-il, guère désolé.

—  Il n’y a pas d’offense, Légide. Bien, maintenant que le calme est revenu, il nous faut décider des actions à suivre. Je pense que réunir en urgence l’Agora pour prendre les dispositions qui s’imposent est une nécessité.

Ankalios, qui jusqu’ici avait été des plus attentif se leva pour prendre la parole :

—  L’Agora prendra encore plus de temps à décider qu’à être réunie. Il y a une double urgence immédiate, et bien qu’il me déplaise de l’admettre, nous devons nous préparer dès cette minute à l’éventualité d’une guerre, mais aussi de désordres civils graves dans nos murs.

Un des ministres, un petit bonhomme plus large que haut portant sous sa toge un surcot magenta rehaussé de dentelles et de fils d’or rose que certains se souvinrent être le responsable du trésor princier –il y avait au moins cinq ministres des finances aux fonctions floues- intervint :

—  Et que suggérez-vous ? Que nous ayons la folie de nous préparer à un siège par les troupes de Nashera ?! Mélisaren, même avec ses vassaux et alliés, n’a pas la moindre chance si les légions de la capitale des Plaines de l’Etéocle marche sur nos murs !

—  Il faut pourtant garder cette éventualité à l’esprit. Mais une telle tactique employée pour nous abattre ne ressemble pas du tout aux méthodes honorables de cette cité. Il est possible qu’une de nos rivales ait monté cette ignominie en espérant affaiblir nos forces, voire même que ce soit le fait dément d’une organisation ou d’un individu aux moyens conséquents. En premier lieu, c’est la sécurité intérieure de la ville qui va devoir être renforcée. Duncan ne nous a pas encore prouvé que son remède fonctionne et nous ne sommes pas en situation de compter sur lui pour endiguer l’épidémie. Il nous faut revenir à notre prudence ancestrale : la Haute-ville a été fermée depuis l’aube, elle doit le rester, et nous devons admettre l’éventualité de perdre toute la Basse-ville, dont nous devons sécuriser tous les accès ! En second lieu, nous devons mettre toutes nos légions en alerte et nous savons que notre devoir est de les rassembler au plus vite, dès maintenant.

— Mais vous rendez-vous compte du coût exorbitant que vont représenter de tels objectifs ?! Sans le port et la Basse-ville, c’est toute l’économie de Mélisaren que nous interrompons ! Il ne faudra pas plus d’un mois pour que nous frôlions la faillite !

Zaherd intervint en aboyant :

—  Et que préfères-tu, ministre ? La ruine ou l’anéantissement ? Ankalios a raison et j’espère que Duncan aussi, car sinon c’est peut-être près d’un tiers de nos concitoyens que nous perdrons, mais il faut isoler la Basse-Ville, la faire garder par des troupes et empêcher qui que ce soit d’entrer ou sortir pour au moins dix jours !

Aratanius prit la parole à son tour. L’aura de l’Espicien, parlant au nom du Cardinal de la cité-état, lui assurait l’écoute attentive de toute l’assemblée :

— L’Ordinatori est ici pour veiller sur les fidèles de notre Église, et ceux-ci sont menacés en cette heure. Notre Cardinal a accordé sa confiance au doyen Duncan, celle-ci est désormais en jeu, mais je vous propose d’affecter notre légion à la sécurité de la Basse-ville, en appui de la garde de la capitainerie.  Je n’ai nul doute que nos Ordinatorii sauront faire régner l’ordre et le calme. Et ils ne craignent pas la Rage.

— Cette solution vous parait-elle acceptable, Zaherd, demanda Ankalios ?

— Si les ministères n’y voient rien à redire ? Mais je tiens à rappeler, Espicien, que je reste en dernier ressort le capitaine de la ville. L’Ordinatori acceptera-t-il cette autorité ?

— Nous nous en accommoderons pour la circonstance, Légide. L’heure n’est pas à discuter de l’application des Dogmes.

Aristos tapa sur la table de sa canne dans un geste auguste :

— La décision est donc validée, les légions de l’Ordinatori appuieront la garde de la capitainerie pour assurer l’isolement et la sécurité de la Basse-ville dans le respect de l’autorité du Légide et de ses officiers supérieurs. Maintenant, nous devons discuter de l’organisation de la défense de la ville dans le risque, de toute évidence prochain d’une attaque de grande envergure. Cette décision ne pouvant, selon nos lois, être prise qu’au sein d’une Agora réunissant tous les tribuns, nous ne parlerons ici que des préparatifs à cette organisation.

Armillo Vaesta se leva. Grand et maigre, le visage long et osseux, l’homme d’une soixantaine d’années était rendu encore plus maladivement pâle drapé dans la toge écarlate qui dissimulait ses atours de satin noir finement brodé de bleu. Il était le ministre des Relations extérieures, le chef de la diplomatie de Mélisaren, mais surtout le prince héritier des Vaesta qui avaient longuement régné sur la cité du temps de sa royauté. Il s’exprimait d’une voix grave qui n’avait guère besoin de se lever pour se faire entendre :

— Nos liens avec Nashera ne sont pas des plus fraternels et nul ne l’ignore, nous avons défendu fièrement notre indépendance contre ses cités vassales jusqu’à devenir nous-même une des capitales du sud des Plaines. Mais je ne puis croire que les maitres de la Cité du Lac aient pu approuver une stratégie aussi vile pour abattre une cité qui n’est pas de leurs voisines. Cependant, et parce qu’il ne vous aura pas échappé notre position privilégiée dans le commerce maritime avec l’Athémaïs, cette possibilité ne peut être écartée. Même si elle parait impensable. Dans l’immédiat et sans attendre l’aval de l’Agora, je pense qu’il est nécessaire de détacher une délégation officielle à Nashera pour lui exposer la situation, et pour cela armer au plus vite un navire lévitant. Je ne puis concevoir que Nashera ou une de ses vassales nous attaque sans déclaration de guerre.

L’Espicien acquiesça en même temps que plusieurs autres ministres au fait des coutumes diplomatiques :

— Une telle ignominie est en effet une hérésie que jamais l’Ordinatori de Nashera ne pourrait accepter. Avant de nous préparer à nous défendre contre l’ennemi, il nous fait savoir qui est notre ennemi. Nous avons eu dans nos murs une délégation de l’Eglise de Nashera, peut-être serait-il bon d’exposer aux prêtres de cette délégation la situation, par souci d’effort diplomatique ?

Le premier magistrat s’interrogea :

— Sont-ils encore présents ?

— Je pense que oui, répondit l’Espicien. Ils avaient demandé logis au Temple Iriaqos. Je les ferai demander.

— Je vous remercie Espicien. Il serait bon qu’ils se présentent à l’Agora, si vous l’acceptez.

— Je m’assurerai de leur présence, Magistrat.

Ce dernier hocha la tête et donna encore un coup de canne pour appuyer ses propos :

— Bien, quelles autres propositions doivent être discutées dans l’urgence de cette réunion d’exception ?

***

Thanlan fronça les sourcils et tendit le bras pour alpaguer sans manière un docker qui passait à côté. Ce dernier eut comme premier réflexe de grogner sa désapprobation de manière menaçante… avant de réaliser que le bras qui venait de l’arrêter dans sa marche était pratiquement aussi épais que son torse.

— Dis voir, l’ami, reprit le colosse au docker qui faisait presque deux têtes de moins que lui, ces drapeaux qu’on vient de hisser sur les mâts devant tous les quais, c’est quoi ?

Ce dernier leva la tête. Au sommet des mâts des fanions du port flottaient maintenant deux drapeaux noirs et un drapeau noir barré verticalement de rouge.

— Ben tu vois être le dernier à ne pas savoir ! C’est le signe de la quarantaine cela ! Tout le port et la Basse-ville sont désormais isolés depuis ce midi sur ordre de la capitainerie.

— Ha… hé bien misère… Ouais, enfin, je crois que j’étais bien placé pour savoir qu’on allait en arriver là, mais moi et les codes de marine. Merci l’ami, désolé du dérangement.

Le marin grogna une sorte de « pas de quoi » mécontent mais reprit sa route. Au bout de quelques pas, il se retourna pourtant, curieux :

— Hé, mais ce n’est pas toi le guerrier dont tout le monde parle et qui a arrêté à lui seul l’attaque de cette nuit par ces salopards qui ont lâché des Enragés dans les rues ?

Le colosse afficha un large sourire en réponse :

— Ben, possible. Mais celui qui a fait ça n’a pas bien fini le boulot, vu ce que veulent dire ces fanions. Mais dis voir, si ça veut dire quarantaine, pourquoi y’a un navire qui entre dans le port ?

Le docker fronça les sourcils à son tour et se tourna vers la rade. À travers la forêt de mâts des vaisseaux à quai, on pouvait voir que déjà plusieurs autres circulaient au-delà de l’accès au port, sans doute désormais barré par une chaine qui resterait tendue tant que durerait la quarantaine. Si la plupart ne faisaient clairement que passer et manœuvraient pour s’éloigner, il en était un qui quant à lui se préparait visiblement à stationner. C’était un galion lourd et puissant, affichant quatre ponts, et à son plus haut mât claquait l’étendard de la Guilde des Marchands.

— C’est une des lignes régulières d’Armanth. Lui, c’est l’Ankh’alam. Je ne sais pas s’ils vont oser venir à quai, mais ça ne m’étonnerait pas, ils se prennent toujours pour meilleurs que les autres.

— Ou simplement ils ont tous un symbiote et une bonne confiance en eux.

Des cris interrompirent l’échange entre les deux hommes. Non loin tout un groupe commençait à lever le ton de manière menaçante vers un duo d’enfants des rues acculé par la foule contre l’angle de la grande porte d’un hangar.  Thanlan n’eut pas besoin de s’attarder à écouter beaucoup pour comprendre que l’on accusait les gamins d’être porteurs de la Rage et de menacer de la répandre partout. Il perdit son sourire quand il entendit l’un des hommes suggérer de les noyer par sécurité, menace qu’il voulait clairement mettre à exécution en s’approchant des deux enfants, suivi par d’autres gaillards.

— Misère…

— Ha ça oui, ça ne fait que commencer, tout le monde a la trouille et ce genre de chose ne va faire que se produire de plus en plus. Mais… hé que fais-tu ? Pourquoi y vas-tu ?

Thanlan se dirigeait vers la foule hostile. Il poussa un soupir las, avant de se redresser en faisant rouler ses épaules massives et afficher un large sourire vers le docker :

— Ben… parce si je ne vais pas aider ces gamins, qui le fera ?

***

Jawaad rejoint l’entrée du port en affichant ce qui s’apparentait le plus à du mécontentement sur son visage apparaissant le plus souvent comme impassiblement sévère. Il avait dû quitter en urgence la compagnie d’Erzebeth, avec qui il avait pu passer du temps, mais principalement à organiser la sécurité des quais et des réfugiés qu’ils accueillaient. Les premières disputes et menaces avaient déjà éclaté en plusieurs occasions ; les citoyens de Mélisaren désormais dévorés par la peur de la contagion devenaient de plus en plus nerveux et agressifs, y compris sur les quais. Même les miliciens de la garde portuaire cédaient à la méfiance et à l’hostilité. Ce n’est que vers la fin de la journée, gardant au passage un œil sur ses deux esclaves, que Jawaad avait pu profiter de la compagnie de la fière femme d’épée.

Mais ce moment plaisant n’avait pu durer qu’une petite demi-heure. Un milicien était venu le chercher pour lui expliquer avec les mots vaseux d’un homme qui avait déjà trop forcé sur le vin qu’il était demandé d’urgence devant le poste de garde. Avoir été interrompu, et qui plus est par un soulard, avait férocement agacé le Maitre-marchand. Il aboya, arrivé devant les barricades, le regard noir :

— Quoi ?!

L’homme, hélé par Jawaad, tentait de ressembler à un officier avec une veste de marine à boutonnière et manches amples sur une chemise à jabot, mais il n’avait pu s’empêcher d’afficher dans toute sa tenue le luxe tapageur typique d’un marchand de l’Athémaïs, en rajoutant galons, médailles, broderies et dentelles. Il se tenait en tête de deux marins en chausses amples et large tunique de lin vaguement ornée de motifs passés, et sursauta en se faisant aborder si brutalement. Il allait répondre, mais Damas, qui se trouvait derrière lui, posa la main sur son épaule, et le devança :

— Il vient avec du courrier pour toi, Jawaad. Des nouvelles de l’Alba Rupes.

Jawaad tendit la main d’un geste sec, sans un mot vers le marchand qui en fut d’autant plus décontenancé et la serra donc par réflexe :

— Ho vous êtes donc le célèbre Jawaad, le maitre-marchand ! c’est un honneur, j’ai tellement entendu parler de vous. Je suis Phasielli, au service de la Maison Marchande de…

Jawaad dégagea sa main sourcils froncés :

— La lettre !

— Mais ce ne sont pas des manières ?…

— Alors tu n’as pas assez entendu parler de moi. La lettre !

Phasielli obtempéra en tendant un billet épais, cacheté, qu’il sortit du pan de sa veste :

— Oui, oui, la voici, mais j’ai rarement croisé autant d’outrecuidance chez un seul homme !

Jawaad s’en empara pour se détourner immédiatement sans plus prêter aucune attention à son interlocuteur. Damas manqua éclater de rire, mais fixa l’homme qui venait de se faire éconduire sans politesse :

— Hé bien tu sais désormais que c’est possible chez un seul homme. Tu pourras ainsi dire que tu connais maintenant vraiment Jawaad, le maitre-marchand.

— Et il est toujours comme ça ? Répondit Phasielli tandis qu’il regardait s’éloigner le maitre-marchand qui déjà décachetait le pli.

— En général, oui, mais il est préoccupé en ce moment. Je crois que tu sais déjà pourquoi, non ? Merci en tout cas d’avoir apporté la lettre.

— Oui, nous avons vu les fanions, mais tous les hommes descendus au port ont un bon symbiote et notre cargaison est de produits et d’épices frais, elle serait perdue si nous repartions. Nous allons prendre le temps de la décharger par canot.

— Vous descendez au comptoir de la guilde ?

— Oui, pour ceux d’entre nous qui avons quitté le bord.

— Fais attention. La Rage ne pardonne pas. Mais ici, elle n’est pas encore le plus grand danger que toi et les tiens encourez.

— Oui j’ai senti l’agitation. J’espère tout de même que tout cela n’entravera pas la bonne marche du commerce.

— Il y a des choses qui ont plus de force que les lois de la Guilde des Marchands. Le chaos et la peur en font partie.

— Damas !

Jawaad se tenait à quelques mètres, la lettre en main, repliée. Il fit vers le Jemmaï un léger signe de tête.

— J’y vais, marchand, à bientôt.

Phasielli n’eut pas le temps de rendre son salut au Jemmaï, ce dernier rejoignait son ami, qui lui-même s’éloignait vers les quais au-delà des postes de garde. Le maitre-marchand attira son second jusqu’à être à l’écart, non sans avoir jeté un œil sur Lisa et Azur qui, accompagnées de Sianos et de l’assistant de Duncan, continuaient leur longue et minutieuse inspection de tous les réfugiés et hommes d’équipages. Il en profita pour saluer Erzebeth qui conversait elle-même avec quelques-unes des impressionnantes filles de son équipage, toutes armées et aisément plus imposantes encore que ses propres marins.

Damas montra du doigt la lettre que Jawaad tenait en main, sans ajouter un mot. Il avait pris quelques habitudes du maitre-marchand à la communication non verbale. Ce dernier acquiesça avant d’ajouter en la lui tendant :

— Dicté par Abba, écrit et commenté par Alterma.

Damas prit le temps de lire, sous le regard désormais impassible de Jawaad, sa manière coutumière de dissimuler sa préoccupation derrière un masque imperturbable. Mais le Jemmaï connaissait assez son ami pour sentir la colère qu’il cachait. La lettre résumait les événements survenus à Armanth depuis le départ de la Callianis, l’attaque de la villa, les morts, l’intervention des Séraphins face à de supposés Quaesitorii et enfin, l’enquête rendue au point mort après l’intervention de Franello pour retirer les captifs de la justice de l’Elegio.

Damas pesta dans sa langue, ce qui n’arrivait que fort peu :

— Moejj’e Arhad sy arran’dhims…

— Comme tu dis.

— Au moins ils ne sont plus en danger. L’affaire est si publique que toute autre action les ciblant serait suicidaire. Les Séraphins ne vont pas baisser leur garde.

— Oui, et Abba mentionne qu’il va faire appel à des amis de la Cour des Ombres. Il a déjà dû s’en occuper. Mais désormais, il y a une dette de sang. Je ne laisserai pas la mort des miens impunie.

— Sauf que pour le moment, nous sommes coincés sur ce quai pour encore au moins dix jours. Ta vengeance attendra ; sans compter que : qui pourrais-tu viser ?

— Franello serait une bonne cible, tu y penses aussi.

— Oui, mais je pense aussi à une chose qui t’intrigue depuis le début : pourquoi un Espicien s’en prend-il à tes intérêts, que cherche-t-il ? Pour les intérêts de qui agit-il ?

— Nous ne le saurons que de retour à Armanth. L’attaque contre les miens aura eu comme avantage qu’elle me permet de rentrer en sécurité. Il nous faut patienter.

— Ouais… mais j’ai comme l’impression que ce ne sera pas si facile. Nous sommes coincés au milieu de ce qui ressemble aux prémices d’une guerre.

— Qui ne nous concerne pas.

— Tu as pourtant des intérêts ici, et des amis, en tout cas un… et maintenant deux, si je compte Erzebeth.

— Leur protection nous concerne, mais pas la guerre, si guerre il y a.

— J’admets. De toute, on ne pourrait pas faire grand-chose. Ni la Callianis ni nos marins ne sont faits pour le combat. Mais cela reste pourtant un risque… un risque qui me laisse perplexe. J’ai l’impression que tous ces événements arrivent de manière trop opportune. Chez moi, on ne croit pas aux coïncidences.

Jawaad hocha la tête et comme à son habitude, mis un temps avant de répondre :

— Mais si tout cela est lié, le lien est pour le moment impalpable. Inutile de s’y attarder…

— J’aimerais avoir ton assurance, à cet instant.

Le maitre-marchand dérida un sourire entendu :

— Quand les choses apparaissent informes, il faut attendre qu’elles deviennent une silhouette identifiable. C’est une question de temps. Ce qui est voilé finit toujours par se révéler.

— Espérons que cela ne prenne pas trop de temps. Et qu’on n’ait pas à se retrouver au milieu d’un siège militaire avant de savoir de quoi il en retourne.

— Pour le moment, préoccupons-nous de ce qui est à notre portée. Au fait, Sonia ?

Damas lâcha un soupir agacé :

— Pas la moindre trace, mais je suis coincé ici pour le moment et pas un de ces foutus gardes n’a été capable de me dire si elle a été jetée en cage. Je me demande si elle ne s’est pas fait la belle.

— Non. Les languirens ne s’enfuient jamais.

— Hm… cette esclave-ci, j’ai des doutes.

 — Moi pas.

***

Lisa et Azur avaient pratiquement achevé leur lente et minutieuse ronde d’inspection de tous les occupants des quais. La tâche s’était révélée plus ardue que prévu : Lisa réalisait les limites de sa capacité à sentir couler la vie dans les êtres vivants et l’interpréter comme autant de signes cliniques, et Azur, bien que comme toutes les Psykés réputées pouvoir lire les pensées simplement en observant le visage des gens, avait parfois elle aussi eu du mal à faire un clair distinguo entre personnes malades, anxieuses ou encore stressées. Sianos qui les accompagnait n’y comprenait guère quelque chose et se méfiait un peu : il y avait pour lui trop de magie et de mystère à l’œuvre à son goût.

Darelin, l’assistant de Duncan, un homme aux allures fragiles âgé d’un peu plus d’une vingtaine d’années et dont le regard brillait souvent d’une amicale malice, était quant à lui nettement plus enthousiaste. Il avait très vite été curieux :

— C’est une Chanteuse de Loss, n’est-ce pas ? Duncan me parle souvent de leurs étonnantes capacités et des étendues méconnues de leurs dons.

Azur eut un sourire et prit la parole. Lisa était juste tout près d’elle, mais cette dernière était en train de fredonner en murmures, concentrée à sa vision et n’entendait sans doute qu’à demi la discussion :

— Oui, maitre. Mais Anis est douce comme un chaton, elle ne ferait pas de mal à une mouche. Si c’est un démon, c’est le plus tendre des démons du monde.

— Ho, tu prêches un convaincu, Azur. Il y a quelques années, ma première rencontre avec un être de sa race était dans une fête de mariage chez un vieil ami de la noblesse. Son frère y a présenté une Chanteuse des Illusions qui nous a ravis pendant une heure de fantasmagories et d’images lumineuses et féériques au son d’un orchestre. Je n’avais rien vu de ma vie de si beau et de si paisible. Puis je suis devenu élève de maitre Duncan, passionné par toutes ces choses mal vues de l’Église. Les Hauts-Seigneurs me pardonnent, je partage ses vues sur bien des points.

— Moi, cela m’effraie un peu. C’est si rare, les histoires sur les Chanteurs de Loss sont si terribles, on les dit si dangereux. Mais quand je vois Anis, je ne peux que me dire que finalement, ce n’est pas si fondé. Il y a partout des créatures terriblement dangereuses, mais qui le sont pour survivre ou se défendre. Les Ghia-tonnerre, par exemple ! Les ainées des troupeaux sont si grandes et fortes qu’elles peuvent piétiner une maison, et leur souffle peut foudroyer toute une troupe. Mais pourtant, quand on sait les approcher, elles sont paisibles, débonnaires et gentilles. Les Chanteurs de Loss ne sont peut-être ni plus ni moins que cela…

— C’est une bonne manière d’y penser. Mais il faut garder prudence ; on dit bien que seul un fou met un ghia-tonnerre en colère, non ?

Azur éclata de son rire clair et joyeux, pour acquiescer et le trio, surveillé par Sianos qui grommelait des choses à propos de fous qui prennent des risques bien trop osés pour que quoi que ce soit en sorte de bon, reprit son inspection.

Thanlan venait de confier les deux gosses à qui il avait évité un sort funeste – en distribuant pour y parvenir quelques coups bien sentis- aux miliciens de la capitainerie, devant l’un des quais du port, devenu depuis deux jours un camp médical improvisé pour plusieurs centaines de réfugiés. Il y avait retrouvé une tête connue : Galadas officiait à la barricade servant de poste de garde et de filtre pour les rares entrées et sorti de la zone de quarantaine. Bien que maintenant, l’ensemble du port et de la Basse-ville étaient de facto dans la même situation. Alors qu’il discutait avec le sergent, ne cachant pas, tout en le prenant avec philosophie, qu’il était agacé d’être comme tout le monde coincé dans Mélisaren pour des jours, son regard fut attiré par un spectacle qui le marqua de suite.

A quelques dizaines de pas, il y avait une rousse, de petite taille.

Thanlan avait toujours eu un faible pour les rousses, et ce n’était pas et de loin la première fois qu’il en voyait une, trouvant toujours totalement idiot qu’on asservisse tout ce qui pouvait être roux sans se poser de questions. Vêtue d’un sarouel et d’un boléro d’un bleu pâle, portant de fines babouches, celle-ci avait de longs cheveux couleur de feu, noués dans un demi-chignon qui formait une queue de cheval lui arrivant aux reins. Elle était frêle et minuscule pour le colosse, mais de toute manière elle aurait été jugée petite aux yeux de n’importe quel Lossyan qui au premier abord l’aurait pris pour une enfant. Pourtant Thanlan était fasciné, tandis qu’il suivait ses mouvements et pouvait de loin admirer ses traits.

Elle n’était pas la plus belle des rousses qu’il avait croisées. Il en avait vu des bien plus féminines, sensuelles, racées, envoutantes par leur talent, aiguisé par des années d’asservissement et de dressage, à être d’un seul geste le fantasme de tous les hommes. Mais cette petite fille aux allures si fragile, concentrée à une tâche qui échappait à Thanlan accompagnée d’une autre esclave blonde à la beauté douce et sauvage à la fois typique des Arant’hia et de deux hommes qui devait les surveiller, avait un visage au métissage rare, presque unique. Le guerrier songea qu’elle aurait pu être le fruit des peuples Imareth de Cymiad, et du nord des plaines de l’Etéocle. Mais il conclut que même ainsi, on aurait eu du mal à donner vie à un visage si fin et ravissant… et alors qu’il était à plus de trente mètres d’elle, il pouvait voir l’éclat magnifique de ses yeux verts de jade.

Galadas éclata de rire en voyant le géant fasciné par la petite rousse :

— Jolie, hein ? Elle appartient à un maitre-marchand d’Armanth. C’est lui, avec Erzebeth, qui nous ramené les survivants d’Erasthiren.

— Ha misère, oui, vraiment très jolie. C’est un peu un gâchis, mais bah, le monde est comme ça et on ne va pas le changer.

Le sergent fut surpris par le commentaire :

— Que veux-tu dire ?

— Rien de grave. Oublie, l’ami. Une histoire qui me regarde et ne te concerne pas.

Des échos de voix attirèrent l’attention de Galadas, alors que s’avançait tout un groupe suivi d’une foule éparse.

— Ça par contre, ça me concerne ; je crois que les ennuis arrivent. Tu as bien assez donné de ta personne Thanlan, mais ça ne te gêne pas que je réquisitionne ta carrure de géant, histoire d’avoir du poids pour négocier ?

— Ben écoute, tant que je ne me retrouve pas à devoir encore me battre… car je t’avoue que la nuit fut rude.

— Ouais, je suis au courant. Ho par les hauts-seigneurs, il en arrive de plus en plus ! Gardes ! On se rassemble, bloquez la palissade !

 Rapidement, c’était plus d’une centaine de citoyens colériques, dont le nombre grossissait régulièrement qui occupait la jetée du port et coulait depuis les grandes artères vers la Basse-ville. Le groupe de tête, plus de trente hommes, ne cachait ni son hostilité, ni ses armes, et si certaines étaient improvisées, d’autres portaient des sabres, des lances, et même de vieux fusils-impulseurs.

Les premières exigences fusèrent, auquel tentait de répondre l’officier de garde, mais il n’y avait pas de meneur clair avec qui discuter. Le ton montait de plus en plus vite :

— On veut qu’ils partent ! C’est leur faute si on est en quarantaine, on va mourir à cause d’eux !

— Ils sont venus en bateau, qu’ils repartent avec !

— Vous les protégez alors qu’ils apportent la Rage !

— La Haute-ville se fiche qu’on crève !

— Il faut tous les tuer ! C’est ce que disent les Dogmes ! Tous les tuer par prudence !

Le lieutenant de garde portuaire attrapa un bouclier pour en faire un gong improvisé et calmer les cris, bien décidé à discuter et éviter un incident. Les miliciens et les marins détachés par Jawaad et Erzebeth étaient nerveux et prêts au pire et l’officier voulait éviter que tout ne dérape.

Son effort fut vain. Depuis la foule, derrière le groupe de tête, quelqu’un avait jeté un pavé qui avait fait mouche sur le casque d’un soldat. Immédiatement, la tension s’accrut dangereusement, marins et gardes se massant en un bloc de défense, armes levées. D’autres pierres et déchets volèrent vers la barricade, tandis que la foule s’avançait dans des cris hostiles.

Thanlan recula à la suite de Galadas. Vu la situation, il n’avait que le choix de se défiler, ce qui ne lui vint pas à l’esprit, ou de faire bloc avec les hommes qui protégeaient les réfugiés. Mais il ne se faisait pas d’illusions. Le sang allait couler et dans moins d’une heure le sol serait jonché de morts.

A quelques pas de là, avec Lisa et Azur, Sianos ouvrit des yeux ronds en voyant ce qui arrivait. Comme d’autres hommes et quelques femmes sur les quais, dont celles de l’équipage d’Eerzebeth qui suivaient leur capitaine pour aller prêter main-forte à leurs camarades, il fonça vers la barricade :

— Vous deux, restez là ! Médecin, tu les surveilles, faut que j’y aille !

Plus loin, Jawaad qui discutait avec Damas ne pouvait que deviner la scène, mais les cris lui en apprenaient assez pour comprendre qu’une émeute était en train de débuter. Damas s’écria :

— J’y vais !

— Non, rassemble nos hommes !

Le maitre-marchand n’ajouta rien et commençait déjà à fendre la foule sur les quais, qui se massait curieuse et inquiète de ce qui se passait. Derrière lui Damas partait en sens inverse vers la Callianis. Le Jemmaï était autrement plus doué pour esquiver les corps et se faufiler rapidement sans que rien ne le freine. Jawaad aurait aimé avoir son agilité, tandis qu’il tentait de circuler, cherchant des yeux ses esclaves.

A la barricade, le face-à-face devenait de plus en plus tendu. Le groupe de tête se rapprochait inéluctablement, poussé par la foule massive derrière lui qui grossissait de seconde en seconde. En face, il n’y avait qu’une vingtaine de gardes et de marins pour leur tenir tête. Leur courage était mis à rude épreuve, d’autant plus que le lieutenant tentait toujours de convaincre les émeutiers de faire machine arrière en interdisant à ses soldats de riposter.

Azur paniquait, retenant Lisa, qui tremblait de peur et se serra contre elle. La Psyké avait d’autant plus de raison d’angoisser que, même de si loin, elle pouvait lire en détail la nature de la colère et de la haine des émeutiers, qui venaient chercher du sang pour y apaiser leur propre panique de mourir terrassés par la Rage. Ils voulaient des coupables sur qui se déchainer. S’ils débordaient la barricade, le seul salut serait dans la fuite et elle se préparait à entrainer Lisa avant qu’il ne soit trop tard.

Et l’équilibre instable céda d’un coup. Impossible de dire qui avait fait le geste de trop, c’eut été comme tenter de comprendre la variable d’une loi complexe de physique des fluides. D’un coup, la foule s’écrasa sur les barricades et les hommes qui la gardaient. En une seconde, les premières déflagrations des impulseurs et les premiers coups de lames faisaient les premiers blessés.

Le temps s’arrêta pour Lisa. Elle sentait les masses de loss-métal partout dans son environnement, ceux des armes à impulsion, ceux des moteurs à lévitation des navires à quai, et d’autres encore. Elle touchait de l’esprit leur interaction mieux que si elle avait pu le faire du doigt et elle se connecta à elles d’une pensée. La panique trop lucide d’Azur la contaminait et si elle ne pouvait que la ressentir, elle comprenait que dans la seconde, les quais seraient un champ de bataille sanglant. Elle n’eut guère le temps de se demander si c’était cette peur qui la fit agir, une brutale bouffée de courage, ou les conséquences de l’inspiration onirique d’Orchys. C’était sans importance. Elle se mit à Chanter, et le son cristallin qui s’échappait de ses cordes vocales envahit l’air, puis le fit vibrer, avant de déformer la réalité elle-même.

Thanlan fit tout ce qu’il peut pour amortir le plus possible le choc de la mêlée, mais elle n’était qu’une marée humaine poussée par sa propre dynamique et il ne tiendra pas plus de quelques secondes. Sous ses pieds, et il n’avait pas le temps de savoir s’il était en vie, se trouvait Galadas qui avait pris une balle. Fugacement, le colosse se demanda si toute une bande de citadins désordonnés et sans une once de talent martial parviendrait à faire ce que tant de ses adversaires avaient vainement tenté.

Il entendit le Chant. Il parvenait à couvrir la furie de la mêlée. C’était aussi surprenant que magnifique et glaçant à la fois. Un clin d’œil plus tard, alors qu’il s’était tourné en fixant la fille rousse à l’origine de cette chose, il le ressentit physiquement. C’était comme un mur de mirage, faisant onduler l’air à la manière du chatoiement de chaleur à la surface d’un sol surchauffé, mais solide et impénétrable, qui brutalement repoussa tout en dessinant un cercle parfait depuis un point central. Émeutiers, gardes, hommes blessés, tonneaux, planches et lourds madriers de la barricade étaient trainés au sol dans même mouvement. Fasciné, Thanlan réalisa que même les projectiles, balles d’impulseurs compris, étaient arrêtés dans leur course et repoussés comme si leur propre vélocité n’avait pas plus de force que la chute d’une plume.

Et tandis qu’il eut juste le temps de se pencher pour attraper le sergent avant d’être à son tour repoussé comme un fétu de paille par ce mur qui brisait inéluctablement l’élan chaotique de la percée de l’émeute, il réalisa que tout ce qui était métallique sur lui et autour de lui, brillait d’une fugace et féerique lueur bleue.

Et la fille Chantait toujours, en transe, arrêtait de sa voix un assaut de dizaines d’hommes déchainés, qui maintenant hurlaient de terreur, la plupart fuyant de tous côtés, en proie à une panique salutaire.

Jawaad se figea alors qu’autour de lui sur les quais, tout le monde détalait devant le phénomène irrésistible et terrifiant qui mettait fin à l’émeute. Il posa son regard sur Lisa, à quelques mètres de là, dos à lui, qui Chantait toujours.

Et passé l’étonnement qui l’avait paralysé, il afficha un sourire de triomphe. Puis se décida à s’approcher. Il allait falloir gérer les conséquences qui ne manqueraient pas d’être très compliquées. Mais à vrai dire, il s’en faisait d’avance une joie.

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Une réflexion sur “15- Nashera

  • editionsstellamaris

    C’est toujours aussi génial, Axelle, je me régale ! Bises !

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